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SVEVO ITALO (1861-1928)

Svevo, héros de l'irrésolution

Les pédants et les grammairiens, engeance qui foisonne dans un pays où les grands écrivains jusqu'à une date récente ignoraient l'italien, ont eu beau jeu à condamner sa syntaxe défectueuse, ses tournures démarquées de l'allemand, ses expressions dialectales, ses négligences, ses gaucheries. Pourtant il a su, dès ses premiers livres, évoquer dans une prose à la fois ampoulée et sèche l'atmosphère sournoisement banale et poignante de la grise Trieste et parler avec une sensualité pudique et vibrante des midinettes triestines, éternel féminin qu'il poursuivit jusqu'à sa mort comme en fait foi une de ses dernières nouvelles Le Bon Vieux et la belle enfant. De plus, que son parler spontané fût le dialecte triestin, que sa culture fût germanique ne l'a desservi qu'en apparence dans son entreprise qui était non de bien dire selon des recettes éprouvées et des mécanismes langagiers bien huilés, mais d'explorer les profondeurs de l'inconscient, de découvrir la réalité psychologique au-delà de la pensée consciente masquée par les mots.

Le premier dessein de Svevo écrivain semble avoir été de mieux se connaître non point, comme le préconise Gide, afin d'agir sur soi, mais au contraire pour laisser faire la vie. Se connaître pour éviter de se changer. Laisser agir en soi, fût-ce la névrose, est son credo, un absolu. Chez lui, l'affirmation est passivité. Non que Svevo ait cultivé la maladie – c'est là encore une manière de voir d'esthète qui, réclamant l'exercice d'une volonté, répugne à sa nature – ni davantage cherché à en guérir, même si ses héros manifestent une certaine nostalgie pour la santé. Svevo n'a jamais considéré la méthode freudienne comme une thérapeutique, mais comme un instrument d'investigation plus délicat, plus affiné que ceux de la psychologie traditionnelle. Le mot de Zeno : « La vie n'est ni belle ni laide, elle est originale » donne peut-être la clé ou du moins un des thèmes fondamentaux de cette œuvre. Dans Une vie, bien que le ressort principal semble être l'ambition, la conquête du pouvoir liée indiscutablement à l'argent (ce qui a fait dire à de nombreux critiques, dont E. Vittorini, que le héros de Svevo était un héros balzacien velléitaire), déjà Alfonso refuse la réussite non tant par impuissance que pour avoir senti, dès qu'il la touche, qu'elle va le mutiler, le réduire à une pure fonction ; ainsi la passivité, l'hésitation devant l'existence traduit-elle le désir de rester ouvert à son originalité. La principale activité du héros svevien (double de l'auteur qui n'a jamais contemplé que son propre moi aux différentes étapes de sa vie) consiste à circonvenir en lui la volonté, à la harceler, à la distraire, à la persuader de ne pas intervenir, en somme à ruser, jusqu'au comble de la sincérité, pour préserver sa singularité, à se résigner à fumer éternellement, dans les affres et les délices de la mauvaise conscience (mais en existe-t-il une bonne ?), sa dernière cigarette. C'est cette attitude de revendication coupable et dépourvue de caractère dramatique (rien de plus étranger, en effet, au drame que le personnage de Svevo, offert à la liberté et aux atermoiements, ennemi de toute résolution, indésireux de conclure (et ce en dépit du suicide du héros dans Une vie) qui aboutit au chef-d'œuvre de détachement de soi en même temps que d'attachement à la vie, d'ironie objective et d'introspection forcenée qu'est La Conscience de Zeno, roman écrit uniquement « de l'intérieur de soi » et s'adressant à « l'intérieur du lecteur », c'est-à-dire à cette frontière entre le moi et les choses observées où, d'opaques et impénétrables, elles deviennent transparentes et fugitives comme des[...]

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Écrit par

  • : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice

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Média

Italo Svevo - crédits : Umberto Veruda/ Mondadori/ Getty Images

Italo Svevo

Autres références

  • LA CONSCIENCE DE ZENO, Italo Svevo - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 988 mots
    • 1 média

    Après l'insuccès de ses deux premiers romans, Une vie (1892) et Sénilité (1897), ignorés par la critique italienne alors que leur auteur n'est encore à Trieste qu'un sujet de l'Empire austro-hongrois, Italo Svevo (1861-1928) a renoncé à toute ambition littéraire. Toutefois, bien qu'absorbé...

  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par , , et
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    ...chronologique. Il est évident que la plupart des écrivains encore actifs au début du xxe siècle sont nés et ont déjà publié au siècle précédent. Italo Svevo (1861-1928) est, à cet égard, un cas emblématique : il publie ses deux premiers romans – Una vita(1892-1893) et Senilità(1898) –...