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ITINÉRAIRE DE PARIS À JÉRUSALEM, François René de Chateaubriand Fiche de lecture

Un choc des civilisations ?

Avec l'Itinéraire,Chateaubriand semble de prime abord se placer dans la filiation des voyages, tels ceux de Volney (1757-1820), à la fois pédagogiques et savants : « Un voyage en Orient complétait le cercle des études que je m’étais toujours promis d’achever. » De fait, le livre abonde en descriptions méticuleuses quasi techniques, en digressions érudites assorties d'abondantes citations et complétées de notes, que ce soit sur l'histoire antique, la géographie, l'art ‒ tout particulièrement l'architecture ‒, voire parfois la faune et la flore. Dans une moindre mesure, les observations sur les mœurs des habitants y trouvent aussi place.

Pour autant, et même si, en 1806, l'expédition dans un Orient où les « touristes » sont encore rares n'est pas sans danger, Chateaubriand ne se présente nullement en explorateur. Sa perspective est tout autre. À l'origine, en effet, l'Itinéraire s'inscrit doublement dans l'entreprise de restauration du christianisme menée par l'auteur entre 1797 et 1811 : il s'agit d'une part d'« aller chercher des images » pour Les Martyrs, et, d'autre part, d'effectuer un pèlerinage aux sources de la religion chrétienne ‒ « Je serai peut-être le dernier Français sorti de mon pays pour voyager en Terre sainte avec les idées, le but et les sentiments d’un ancien pèlerin. »

Mais, en pleine période néoclassique de « retour à l'antique », parcourir la Grèce, berceau des arts et de la philosophie, constitue une autre forme de pèlerinage : « … j'allais chercher les Muses dans leur patrie… » Car le voyage en Orient n'est ici en rien un voyage « orientaliste ». La fascination ‒ authentique ou frelatée ‒ exercée par les « pays des mille et une nuits » sur les Occidentaux n'est guère perceptible dans le livre. Pour des raisons politiques notamment : les régions parcourues font alors partie de l'Empire ottoman, dont l'auteur ne manque jamais une occasion de dénoncer le régime tyrannique. Une dizaine d'années plus tard, il sera l'un des plus ardents défenseurs de la Grèce dans sa guerre d'indépendance.

Une autre thématique court tout au long du livre, celle de la décadence. La Grèce antique, la Palestine chrétienne, l'Égypte des pharaons ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles ont été, à l'image des peuples eux-mêmes : « Toutefois je crains bien que les Grecs ne soient pas sitôt disposés à rompre leurs chaînes. […] il y a deux mille ans qu'ils existent comme un peuple vieilli et dégradé. » Quant aux récits de rencontres, ils opposent le plus souvent la générosité occidentale ‒ « Cette réception si chrétienne et si charitable dans une terre où le christianisme et la charité ont pris naissance… » ‒ à l'avidité et à l'agressivité musulmanes ‒ « On n'est venu vous saluer que pour savoir qui vous êtes, si vous êtes riche, si on peut vous dépouiller. »

Cette vision on ne peut plus ethnocentrique n'est alors pas propre, évidemment, à Chateaubriand ; son originalité est ailleurs. On tient généralement l'Itinéraire pour l'un des premiers (sinon le premier) « voyages romantiques ». On ne trouvera pourtant guère dans le livre de manifestation d'un lyrisme échevelé. Les critiques contemporains en louèrent d’ailleurs ‒ compliment ambigu ‒ l'exceptionnelle sobriété du style. Il n'est même pas certain que la sensibilité y soit dominante, et les émotions, lorsqu'elles affleurent, sont exprimées le plus souvent avec simplicité et retenue, sans épanchement, comme à l'occasion de cette visite du Saint-Sépulcre : « Les lecteurs chrétiens demanderont peut-être à présent quels furent les sentiments que j'éprouvai en entrant dans ce lieu redoutable : je ne puis réellement[...]

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