GONTCHAROV IVAN ALEXANDROVITCH (1812-1891)
Le fondateur du réalisme
Dès son premier roman, Une histoire ordinaire, paru en 1848, Gontcharov a trouvé ses thèmes et son style. Renouveau social et réconciliation psychologique sont une même nécessité et seront le produit d'un même mouvement : il faut retrouver la réalité. À cette fin, il importe de se défaire de la vision romantique, de ses complaisances et de ses erreurs. Le jeune Alexandre Adouïev, qui quitte sa province pour Pétersbourg où il va chercher la gloire, la fortune et la passion, se heurte à son oncle Pierre, l'homme nouveau, négociant actif et cultivé qui lui démontre le néant de ses aspirations romantiques. Rassemblé autour de quelques scènes maîtresses, dont la longueur est allégée par une merveilleuse ironie, le roman prêche d'exemple et se fait le miroir des conditions de vie réelles d'un milieu pétersbourgeois sans doute analogue à celui que Gontcharov avait découvert dans les salons qu'il fréquentait, en particulier chez les Maïkov dont il devient le fidèle. Mais si le livre devait connaître un immense succès, même son plus ardent défenseur, Biélinski, lequel écrivait que ce roman était « l'une des œuvres les plus remarquables de la littérature russe », devait déplorer la sécheresse de Pierre, le héros positif. C'est que ni l'auteur ni le public n'avaient su rompre avec le charme et le pouvoir que la vie patriarcale russe avait gardés hors des deux capitales. Dans Le Songe d'Oblomov (1849), paru avant le roman qui portera le nom du héros, Gontcharov évoque en poète la Russie agraire et l'analyse en sociologue. Avec une belle ironie, il pulvérise tous les mythes auxquels ses contemporains et lui-même demeuraient attachés, et qui devaient se retrouver plus tard en Occident, sous le nom d'âme slave. Aussi, lorsqu'il entreprend en 1852 le tour du monde comme secrétaire de la mission confiée à la frégate Pallada – périple au cours duquel il se révélera non seulement poète et satiriste, mais aussi observateur singulièrement avisé, dont les remarques concernant les relations raciales en Union sud-africaine ou l'avenir de Singapour et Hong Kong ont été confirmées par l'histoire –, il n'oublie pas le chef-d'œuvre inachevé, et c'est peut-être à l'expérience acquise alors que l'on doit le portrait de Stolz. Héros médiateur, homme d'énergie et de tendresse, Stolz n'a rien perdu de la bonté des ancêtres, mais il a acquis le courage inventif et créateur de l'Occident. Par lui, le réalisme a trouvé son visage, le réel a été retrouvé. Il se heurte à Oblomov, sans conteste la création géniale de l'auteur, et qui est à la paresse ce qu'Ulysse est à la ruse, ou Achille au courage. De son lit, haut lieu du quiétisme et d'une piété qui ne se comprend plus, Oblomov va vider le monde de sa substance et lui offrir le spectacle de sa léthargie. Pour avoir éprouvé cette prostration, Gontcharov en sait la nature et l'effort épuisant qu'il faut pour ne rien faire. C'est qu'Oblomov est la Cassandre de la bourgeoisie russe encore dans les limbes ; s'il n'ose rien entreprendre, c'est qu'il n'ose déchaîner le fléau qui balayera le passé. Ce passé est trop aimable, ce fléau trop terrible.
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Écrit par
- Jean BLOT : écrivain
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OBLOMOV, Ivan Gontcharov - Fiche de lecture
- Écrit par Luba JURGENSON
- 1 072 mots
Avec Oblomov (de oblom, « cassure », ou oblomok, « tesson », « débris »), Ivan Alexandrovitch Gontcharov (1812-1891), l'un des fondateurs du roman réaliste russe, crée un personnage de paresseux à qui sa démesure confère bientôt l'ampleur d'un mythe littéraire universel. Publiée en 1859,...