BOUNINE IVAN (1870-1953)
Le prix Nobel de littérature (1933) distinguait en Bounine un rare exemple de fidélité parfaite à une certaine conception de l'art et de l'honneur. Toute sa vie, Bounine a suivi sa voie, à contre-courant des modes et des idées reçues. Que cette voie ait été la voie royale de la littérature russe, c'est le secret de son art. Ayant vécu obstinément dans la compagnie des plus grands, il est maintenant reconnu comme l'un deux, l'un de ceux à qui les meilleurs prosateurs soviétiques doivent le plus, l'un de ces « maîtres dont la fréquentation est tout simplement obligatoire pour tout homme qui écrit ».
Le peintre de la Russie
Né à Voronej dans une famille noble qui compte parmi ses ancêtres le poète Joukovski, Ivan Alekseïevitch Bounine a passé son enfance dans la propriété familiale du gouverneur d'Orlov, au milieu d'une « mer de blés, d'herbes, de fleurs », dans cette région de Russie qui, comme il l'a remarqué, a donné les meilleurs prosateurs russes et les meilleurs connaisseurs de la nature : Tolstoï, Tourgueniev. Toute son œuvre en restera marquée. Dès l'âge de dix-neuf ans, la gêne matérielle de sa famille l'oblige à travailler comme typographe et journaliste. Il publie très tôt des poèmes dans la grande tradition qui, de Pouchkine et Lermontov, va jusqu'à Fet, Polonski et A. K. Tolstoï. Il reçoit en 1901 le prix Pouchkine pour son recueil La Chute des feuilles. La rigueur de la forme, qui suppose bien des exclusions (Bounine méprisera toujours les recherches de la poésie moderne), s'allie à un sentiment de la nature peut-être sans égal, même dans la littérature russe. Ses qualités de styliste et de peintre de la nature valent un grand succès à ses récits en prose, où il décrit le monde de la campagne avec sa misère (Nouvelles du pays, 1893 ; Terre noire, 1904), ses gentilhommières peu à peu livrées à l'abandon (Au hameau, 1892) et surtout les splendeurs de la « zone tempérée » de la Russie (Les Pommes Antonov, 1900 ; Les Pins, 1901). Bounine, ami de Tchekhov – l'une de ses trois « idoles » en littérature, avec Pouchkine et Tolstoï – admiré par Gorki qui voit en lui le meilleur styliste de sa génération, et l'introduit aux éditions Connaissance, est définitivement consacré grand écrivain et élu, en 1909, à l'Académie impériale de Russie.
Le lecteur sera pris par l'aspect documentaire de cette œuvre : en aristocrate, Bounine est sensible à la déchéance de l'ancienne société patriarcale et à la misère de la paysannerie qu'il représente, surtout après le récit Le Village (1910), sous les couleurs les plus sombres (Conversation nocturne, 1911 ; Zakhar Vorobiev, 1912), aboutissant parfois à des scènes presque insoutenables de violence et de cruauté : « naturalisme » qui n'est que l'effet d'un profond pessimisme. Rien n'est plus loin cependant d'une littérature « engagée » : si l'œuvre est un document, c'est accessoirement, son projet fondamental reste d'ordre esthétique.
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Écrit par
- Jean BONAMOUR : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
-
RUSSIE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Michel AUCOUTURIER , Marie-Christine AUTANT-MATHIEU , Hélène HENRY , Hélène MÉLAT et Georges NIVAT
- 23 999 mots
- 7 médias
...1890-1900 : Vladimir Korolenko (1853-1921), Vsevolod Garchine (Garšin, 1855-1888), Anton Tchekhov (Čehov, 1860-1904), Maxime Gorki (Gor'kij, 1868-1936), Ivan Bounine (Bunin, 1870-1953), Alexandre Kouprine (Kuprin, 1870-1938) et Léonide Andréïev (Andreev, 1871-1919). Porté à la perfection par Tchekhov...