WYSCHNEGRADSKY IVAN (1893-1979)
Le compositeur français d'origine russe Ivan Wyschnegradsky naît à Saint-Pétersbourg le 16 mai (4 mai, ancien style) 1893, d'un père banquier mais aussi compositeur, et d'une mère poétesse. Il se consacre à la musique dès l'âge de dix-sept ans. Il fréquente Scriabine, dont il reçoit l'empreinte sur les plans musical et philosophique. En 1916, il vit une expérience spirituelle « d'une intensité exceptionnelle » qui sera à l'origine d'une œuvre pour grand orchestre, chœurs et récitatif, La Journée de l'existence, mais dont il devra attendre la première audition jusqu'en 1978. Le texte, signé de lui, conte l'histoire de l'évolution de la conscience dans le monde, depuis les formes primitives jusqu'à la forme finale parfaite : la « conscience cosmique » caractérisée par l'intégration des contraires (« Joie, tu es aussi douleur ; Liberté, tu es aussi nécessité ; Mort, tu es aussi vie... »).
En 1918, une seconde expérience le met face à ce qui devait orienter sa vie : l'intuition du continuum sonore. Au-delà de la division de l'intervalle de référence, l'octave, en douze intervalles égaux dans lesquels évolue la musique occidentale, il entrevoit une multiplicité de milieux sonores tempérés ultrachromatiques (selon sa propre expression) à base de micro-intervalles, parmi lesquels il fait choix de ceux qui ne l'écartent pas trop de la tradition et, en premier lieu, celui qui prend pour base le quart de ton.
Presque toute son énergie est alors mise à la réalisation d'instruments permettant une première approche concrète de ce qu'il imagine. Pour cela, il vient en France, repart à Berlin, où il rencontre le compositeur Alois Haba, qui venait de Tchécoslovaquie dans le but d'intégrer, à la musique occidentale, les intervalles comportant des quarts de ton, d'un usage courant dans les chants paysans d'Europe centrale. De leur collaboration (idée de Wyschnegradsky, réalisation de Haba) naît un piano à trois claviers dont l'un est accordé un quart de ton au-dessus de l'autre. Ivan Wyschnegradsky dispose de ce piano en 1929, mais n'est à même de présenter ses œuvres au public qu'en 1936, après avoir adopté le parti de les transcrire pour deux pianos « normaux », accordés à un quart de ton de différence.
Enfin, un concert lui est entièrement consacré, en 1937. Olivier Messiaen en rend compte en ces termes : « On se doit d'admirer le courage de cet homme qui, depuis quinze ans, seul avec un humble piano à trois claviers différemment accordés, écrit dans un style et avec une notation inusitée des ouvrages de longue haleine sans s'occuper des questions de public, de vaine gloire... Ce qui frappe dans cette musique, c'est d'une part le charme pénétrant des agrégations harmoniques et d'autre part la netteté absolue des intervalles. » La difficulté d'une si longue quête mesure et l'ascétisme du compositeur, et l'espérance qui l'anime. Julian Carrillo, compositeur mexicain, s'est, lui aussi, lancé à la conquête des micro-intervalles, mais selon démarche inverse de celle de Wyschnegradsky, c'est-à-dire en partant du plus petit intervalle sonore qu'il perçoit, le seizième de ton. Bien que les recherches de Carrillo datent de 1895, les pianos devant permettre l'audition de tiers, quarts, cinquièmes... seizièmes de ton, dont la réalisation est attendue depuis 1927, ne sont construits en Allemagne, puis exposés à Paris qu'en 1958. On demande alors à Ivan Wyschnegradsky d'écrire pour le piano à tiers de ton. Il compose deux pièces : la première, à partir de ce qu'il imaginait être le tiers de ton avant de l'avoir entendu, la seconde, après pratique attentive de l'instrument. Ce comportement éclaire sa façon de procéder et, dans le même temps,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Étienne MARIE : docteur ès lettres et sciences humaines, compositeur, président du Centre international de recherche musicale
Classification
Autres références
-
ŒUVRE D'ART TOTALE
- Écrit par Philippe JUNOD
- 8 384 mots
- 2 médias
...exposait un projet pour une salle de musique à Berlin en 1931. Et c'est également la musique qui est à l'origine des spéculations métaphysiques de Scriabine. Ivan Wyschnegradsky (1893-1979) leur donnera un prolongement avec son projet de Temple de lumière (1943-1944), dont la coupole devait être décorée d'une... -
ULTRACHROMATISME
- Écrit par Alain FÉRON
- 976 mots
Le Mexicain Julián Carrillo (1875-1965), le Tchèque Alois Hába (1893-1973) et le Français d'origine russe Ivan Wyschnegradsky (1893-1979) sont, dans les années 1920, les véritables défricheurs ainsi que les premiers théoriciens de la musique ultrachromatique, caractérisée par l'emploi...