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ANDRIĆ IVO (1892-1975)

Ivo Andrić - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Ivo Andrić

L'œuvre de l'écrivain yougoslave Ivo Andrić, à la fois poète, nouvelliste, romancier, essayiste, se situe en dehors de tout courant littéraire. Le réalisme même qui semble s'en dégager n'est qu'une illusion. En effet, si la plupart des récits sont élaborés à partir de données historiques rigoureusement exactes, ils n'en sont pas moins situés hors du temps, affranchis de toute limite par l'imagination de l'auteur, auquel ils n'offrent qu'un prétexte à peindre des destinées humaines : « Ne sommes-nous pas confrontés, dans le passé comme dans le présent, avec les mêmes notions et les mêmes problèmes ? » Andrić a souvent situé en Bosnie le cadre de ses récits : il y trouvait l'occasion de descriptions hautes en couleur mais surtout, grâce à son érudition et à son expérience des voyages, il puisait dans un fonds historique d'une exceptionnelle richesse qui lui permettait de créer des destinées d'une portée universelle.

Un maître de la nouvelle

C'est en écrivant des poèmes qu'Andrić fit ses débuts dans la littérature : ses premiers vers parurent en 1911 dans la revue Bosanska vila (La Fée bosniaque) et, en 1914, son nom figura dans l'anthologie Hrvatska mlada lirika (La Jeune Poésie croate). Puis en 1918 parut Ex ponto, conçu durant ses années de prison et fruit de ses méditations. Ce journal intérieur, présenté comme une suite de poèmes en prose, est empreint d'une grande mélancolie, mais toute aigreur à l'égard de ceux qui ont emprisonné l'auteur en est absente. Bien au contraire, dans ces pages, Andrić exprime sa pitié envers « ceux qui font le mal » comme envers « ceux qui le subissent » et plaint l'inquiétude que doit connaître sa mère. Inquiétudes (Nemiri), paru l'année suivante, appartient à la même veine, où le sens du pathétique est censuré par une extrême pudeur. L'une des principales idées de l'ouvrage est celle de l'absurdité de la guerre et de la relativité de toute victoire. Après la Première Guerre mondiale, Andrić se consacre aux nouvelles inspirées par les grands drames humains ; elles se déroulent pour la plupart dans une Bosnie à la fois historique et légendaire. Le monde introverti du jeune Andrić se transforme alors en un vaste panorama de types étranges et variés, appartenant à un passé plus ou moins lointain. C'est qu'« il est peu de pays, écrit-il dans une de ses nouvelles, où il y ait une foi si profonde, une si noble fermeté de caractère, tant de délicatesse et d'amour ardent, tant de profondeur de sentiment, tant de soif de justice... ». Mais la Bosnie est avant tout le pays de la haine. Dans ce monde oriental où tant de nationalités se trouvent mêlées, réunies sous la domination d'une même puissance, où églises et mosquées égrènent au même moment des heures différentes, où chacun peut réaliser ses ambitions quelles que soient ses origines, sa foi ou ses coutumes, les rancœurs s'accumulent, offrant au narrateur une inépuisable source d'inspiration. L'un des premiers personnages d'Andrić, et l'un des plus réussis, est celui d'Alija Djerzelez (1920), voyageur malheureux et touchant, courageux mais ridicule, sorte de don Quichotte que son habileté au sabre fait respecter mais dont on se moque : descendu de cheval, cet intrépide conquérant n'est plus qu'un petit homme aux jambes torses ; esclave de son amour de la beauté et de l'impossible, il ne peut se soumettre à la réalité.

C'est vers 1925 que les nouvelles d'Andrić atteignent leur perfection, avec notamment Le Pont sur la Jepa (Most na Jepi) : l'édifice d'une étrange beauté, dressé dans un sombre et rude paysage, intrigue les passants qui s'interrogent sur son histoire. Symbole de l'indestructibilité de l'homme, ce pont manifeste aussi[...]

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Média

Ivo Andrić - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

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  • BOSNIE-HERZÉGOVINE

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    • 13 495 mots
    • 7 médias
    ...composantes, avec toutes leurs spécificités, n'en sont pas moins l'expression d'un esprit commun et universel, qu'il soit yougoslave, balkanique ou européen. Un des exemples éclatants de cette communauté dans les différences est l'œuvre d'Ivo Andrić (Prix Nobel de littérature 1961), auteur à la fois serbe, croate,...
  • LA CHRONIQUE DE TRAVNIK, Ivo Andrić - Fiche de lecture

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    C'est en 1942, dans Belgrade occupée par les nazis, alors que les réfugiés affluent et que les communautés s'entre-déchirent qu'Ivo Andrić rédige La Chronique de Travnik. Elle sera publiée à Belgrade en 1945 en même temps que Le Pont sur la Drina et La Demoiselle.