ANDRIĆ IVO (1892-1975)
Le romancier
Les romans d'Andrić restent tout à fait dans la même lignée. Composé d'une façon originale et hardie, Il est un pont sur la Drina se présente comme une suite de nouvelles reliées entre elles, où l'existence collective se mêle aux drames particuliers. Le récit couvre les quatre siècles de l'histoire du pont, depuis sa construction par Mehmed Pacha Sokoli, le grand vizir d'origine bosniaque, jusqu'à l'époque où, après une lente dégradation, il n'en reste plus que les ruines des deux arches qui se tendent vainement l'une vers l'autre. Cependant, les générations ont passé, et le pont seul a résisté au temps, dominant le réseau dramatique et embrouillé des rapports humains, image de la beauté durable du rêve de l'homme qui défie ce que le destin emporte dans le secret du néant. Cet antagonisme de l'éphémère et de l'éternel est un élément important de la philosophie d'Andrić. Subordonné au temps, qui en est le principal facteur, le récit se déroule selon un rythme toujours égal qui lui donne le ton d'une véritable chronique, tandis que l'auteur, simple spectateur, se borne à décrire la dure expérience de l'histoire et de la vie.
La Chronique de Travnik reprend, une fois encore, les mêmes données, mais dans un sens différent : deux consuls, l'un français, l'autre autrichien, envoyés en mission dans une ville de Bosnie au temps des guerres de Napoléon, se trouvent jetés dans un monde étranger et quittent un milieu civilisé pour un univers sauvage et inconnu dont la population leur est hostile. Trop terrifiés pour chercher à comprendre ce pays, ils se replient sur eux-mêmes et s'absorbent dans leurs petites rivalités. Ce n'est pas sans ironie que l'auteur s'attarde à décrire leurs longs monologues intérieurs et leurs tristes méditations, cependant qu'à côté de ces petits drames personnels se joue le destin de la Bosnie, déchirée par les haines raciales et religieuses, dans les échos de la première insurrection serbe. Le consul Pierre Daville n'en poursuit pas moins la composition de son poème épique sur Alexandre, tandis que son collègue von Mitterer se passionne pour la rédaction de longs rapports que personne, il le sait, ne lira jamais : foi absurde mais persistante de l'homme qui croit que son œuvre viendra à bout de l'obscurité de l'histoire et de l'absurdité de l'existence. Seul, le Levantin d'Avenat possède la grande expérience de ce monde étrange, et sa personnalité mystérieuse et complexe domine tout le récit.
Avec son troisième roman, La Demoiselle, Andrić change totalement de thème : renonçant au passé historique de la Bosnie, il aborde les problèmes des temps modernes, et sa prose perd un peu de sa suggestivité et de son charme exotique. Ce roman, à l'accent social et aux implications morales, est l'histoire d'une femme qui, après avoir sacrifié toute sa vie à sa passion de l'argent, s'éprend d'un homme jeune qui l'exploite et la ruine. Sans grands développements intérieurs, ce récit ne connaît pas le même envol de l'imagination que les précédents.
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Écrit par
- Agnès REBATTET
: journaliste à
L'Express
Classification
Média
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LA CHRONIQUE DE TRAVNIK, Ivo Andrić - Fiche de lecture
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C'est en 1942, dans Belgrade occupée par les nazis, alors que les réfugiés affluent et que les communautés s'entre-déchirent qu'Ivo Andrić rédige La Chronique de Travnik. Elle sera publiée à Belgrade en 1945 en même temps que Le Pont sur la Drina et La Demoiselle.