J'ACCUSE (R. Polanski)
Est-ce un signe que la plus grande affaire d’État française ait eu lieu en 1894, à l’orée de la naissance du cinéma ? Est-ce un signe que Roman Polanski s’empare de l’affaire Dreyfus pour réaliser un film majeur sur son instruction, convoquant une multitude d’interprètes masculins qui représentent la fine fleur de l’actorat français ?
Réalisateur issu d’une famille d’origine juive, survivant du ghetto de Cracovie, Polanski ne pouvait rester indifférent au sort d’Alfred Dreyfus, victime d’un antisémitisme d’État. Retrouvant la profondeur historique et émotionnelle du Pianiste (2002), il livre une œuvre somme adaptée de D. (2013), roman de Robert Harris qui cosigne le scénario avec lui.
Quand la IIIe République vacille
Si J’accuse tire son titre du célèbre article, publié dans L’Aurore du 13 janvier 1898, rédigé par Émile Zola (interprété par André Marcon), le film prend, lui, le parti de montrer l’innocence du capitaine Dreyfus (Louis Garrel) à travers l’enquête que mène un de ses anciens supérieurs de l’École supérieure de guerre, le lieutenant-colonel Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin). L’interprétation de la vedette de The Artist (2011) sied à merveille à la mise en scène par son introspection sensible, dessinant peu à peu une construction mentale comme le cinéaste de The GhostWriter (2010), Le Locataire (1976) ou Chinatown (1974) aime en élaborer. Débutant par la dégradation publique de Dreyfus dans la cour d‘honneur de l’École militaire, le film montre Picquart en témoin de l’exécution de la peine, tandis que la caméra de Polanski restitue la violence insultante de l’humiliation subie par l’officier supérieur au nom de la République française. Nommé à la Section de statistique de l’État-major de l’armée en remplacement du colonel Jean Sandherr (Éric Ruf), gravement malade, Picquart prend la direction du service de contre-espionnage de l’armée française. Dans son bureau, il se remémore l’instruction à charge contre Dreyfus, décelant peu à peu les failles de l’accusation et l’innocence de plus en plus évidente du capitaine. Avec un sens de l’espace exceptionnel, Polanski décrit un monde aussi cloisonné que délabré, où la progression mentale de Picquart au cours de sa contre-enquête se heurte à ses ennemis de l’intérieur que sont le commandant Henry (Grégory Gadebois) et ses subalternes. Le cinéaste met en place une série de flash-back qui permet au spectateur de sonder la machination dont est victime Dreyfus. La force du récit tient au point de vue adopté, celui, subjectif de Picquart, homme de conscience, amoureux de l’armée au risque de la voir se retourner contre lui, sans sympathie pour Dreyfus, mais profondément attaché à la probité de son institution et de la République française. Le spectateur évolue avec lui, depuis sa position de témoin de la condamnation de Dreyfus jusqu’à son succès lorsqu’il réussit à l’innocenter. Par la suite, Picquart deviendra ministre de la Guerre dans le premier gouvernement Clémenceau (1906-1909).
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Écrit par
- Pierre EISENREICH
: critique de cinéma, membre du comité de rédaction de la revue
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