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J'ACCUSE (R. Polanski)

Un style graphique

Roman Polanski fait partie de ces cinéastes dont la forme est immédiatement reconnaissable grâce à un sens du cadre exceptionnel captant souvent de biais une scène, accentuant par la lumière et la couleur l’étrangeté du personnage au sein du décor : tout concourt à diffuser un malaise général. J’accuse échappe ainsi à l’écueil de la reconstitution historique, tout en se montrant très rigoureux sur la véracité des costumes et décors. Le réalisateur offre une œuvre graphique, par moments picturale, dont la forme reste au service des personnages et de leurs progressions dans la narration. Avec audace, il décrit l’emprisonnement de Dreyfus sur l’île du Diable, changeant la gamme chromatique du film pour un sépia, montrant son isolement par un montage rythmé proche d’un film d’animation, et faisant débouler un exotisme sordide au sein de l’institution militaire.

Le monstrueux se manifeste également par le choix des « gueules » des acteurs et de leur voix, si diverses et précises par leur diction : Louis Garrel parfait de raideur et méconnaissable en Alfred Dreyfus ; Hervé Pierre et Vincent Grass, aussi fuyants que redoutables dans le rôle des généraux Gonse et Billot ; Didier Sandre et Wladimir Yordanoff jouant chacun les hypocrites généraux Boisdeffre et Mercier ; enfin Grégory Gadebois interprétant avec superbe le rôle du commandant Henry. Tous inventent sous le regard de Polanski un jeu refusant le naturalisme au profit d’une clarté expressive qui révèle l’antisémitisme institutionnel de l’époque.

Récompensé au festival de Venise 2019 par le grand prix du jury, le film a bénéficié à sa sortie française d’un succès critique et public. Il a par ailleurs fait l’objet de multiples appels à la censure de la part d’associations féministes relayées par certains élus, poussant à la déprogrammation de plusieurs séances. S’en prenant à la personnalité de Polanski, accusé de plusieurs viols non instruits, ces actions trahissent chez leurs auteurs l’impossibilité de dissocier l’homme et l’œuvre. En attendant, le débat public sur l’antisémitisme et la justice qu’aurait dû susciter J’accuse n’a pas eu lieu.

— Pierre EISENREICH

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Écrit par

  • : critique de cinéma, membre du comité de rédaction de la revue Positif

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