KEROUAC JACK (1922-1969)
Quelque quarante ans après sa mort, Jack Kerouac est devenu une figure de légende, quelque part entre Rimbaud et James Dean, Marilyn Monroe ou Elvis Presley. Au point que la silhouette du beau loup ténébreux occulte parfois l'œuvre, erratique, inégale, mais qui a su renouer avec la poésie des grands espaces essentielle à la littérature américaine – celle de Melville, Twain, Whitman –, tout en introduisant dans la langue les pulsions et les syncopes du jazz, sa brusquerie de rêve éveillé. Enfin, on n'oubliera pas que, avec W. Burroughs et A. Ginsberg, Jack Kerouac est à l'origine d'un mouvement, la Beat Generation, qui n'a pas fini de faire parler de lui, tant était puissante sa charge utopique.
Une recherche du temps perdu
Jean Louis Kerouac – « Jack », comme il signera plus tard – est né le 12 mars 1922 à Lowell, petite ville industrielle du Massachusetts, sur la Merrimack, au nord de Boston. La famille est de souche québécoise – « Canuck », selon le terme méprisant dont Kerouac ne saura jamais trop s'il fallait en avoir honte ou l'arborer, fièrement, jusqu'à la provocation. Las de peiner dans les terres froides de Rivière-du-Loup, ses grands-parents ont migré vers 1890 pour venir travailler aux États-Unis, dans les usines de Nouvelle-Angleterre. En 1915, son père épouse Gabrielle Levesque, dite « Mémère ». Il est linotypiste, et possédera même un temps une imprimerie ; elle travaille comme ouvrière dans la chaussure. L'année suivante naît Gérard ; puis une fille, Caroline ; puis « 'Ti Jean », comme on l'appelait : le « p'tit dernier ». On parle français (« joual ») à la maison. « 'Ti Jean » n'apprendra guère l'anglais avant d'entrer, vers six ans, à l'école primaire paroissiale.
Plus tard, la trentaine passée, une fois terminé Sur la route, Kerouac, en écrivant – sur le mode élégiaque, rejoignant à force d'arabesques la respiration du saxo – plusieurs épisodes de la « légende de Jack Duluoz », repartira à la recherche de ce temps perdu. D'abord, premier souvenir, il y a le deuil, jamais surmonté, du « grand » frère, monté « au ciel » à l'âge de neuf ans, les cierges et les litanies, le service funèbre sous la pluie (Visions de Gérard, 1956). Puis, vient la fin de l'enfance lorsque, à dix ou onze ans, on se fait son « cinéma » en imaginant (en dessinant aussi, sous forme de bande, dans un carnet d'écolier) la figure fantasmagorique d'un magicien, mi-Sherlock Holmes, mi-bouffon loufoque à la W. C. Fields, arpentant le quartier comme une ombre gothique (Docteur Sax, 1952). Seize ans, c'est le temps des premières amours. Au bal de la Saint-Sylvestre 1938, une fille et un garçon de seize ans se rencontrent, auréolés de néon dans les tristes rues rouge brique de Lowell, jusqu'à ce que leurs chemins divergent (Maggie Cassidy, 1953).
« Jack » est râblé, rapide à la course. Il s'illustre localement sur les terrains de football américain. L'université Columbia le repère, et lui offre une bourse d'études. En 1939, c'est le départ pour New York, la « grande ville ». Après une blessure, la carrière de footballeur tourne court. Kerouac rôde du côté de Times Square, de ses bars et de ses cinémas : il a un faible pour le Jean Gabin de La Belle Équipe et des Bas-Fonds. Il arpente aussi Harlem, alors que dans le jazz perce le be-bop : Lester Young, Charlie Parker demeureront ses héros. Dans le style du « goinfre d'Amérique » Thomas Wolfe (mort en 1939), il écrit une saga semi-autobiographique, The Town and the City, qui dessine le parcours menant de la « petite ville », Lowell, à la grande, et qui paraîtra en 1950 (le livre sera traduit en français sous le titre Avant la route). Par deux fois, il s'embarque sur un bateau[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
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Média
Autres références
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BEAT GENERATION
- Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
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QUÉBEC - Littérature
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