BOSSUET JACQUES BÉNIGNE (1627-1704)
Bossuet est comme un homme du Moyen Âge planté au cœur d'un siècle de crises qui s'ouvre, dès 1598, avec le traité de Vervins et la mort de Philippe II, et s'achève, en 1715, avec la mort de Louis XIV. Son intelligence exceptionnelle et sa foi inébranlable sont tout au service de l'ordre établi, de la tradition religieuse, de la plus rigoureuse orthodoxie. Une seule haine anime l'Aigle de Meaux, celle de l'excès en toutes choses. Le moindre paradoxe n'est pas qu'il se soit laissé lui aussi entraîner à des extrémités dans son souci de défendre efficacement les intérêts de l'Église de Dieu. Sa clairvoyance politique lui permet de déceler, comme d'instinct, le danger que représentent, pour l'« uniformité des conduites » chère à Richelieu, les synthèses nouvelles que proposent bon nombre de ses contemporains illustres : Rubens et Rembrandt, Descartes et Pascal, Spinoza et Richard Simon, Leibniz, Fénelon. Le baroque, le doute méthodique, le jansénisme, la critique appliquée à l'Écriture, un œcuménisme qui effacerait bien Trente, le mysticisme, qui est recherche d'une impossible perfection, manifestent et provoquent une dangereuse diversité d'opinions, l'irrégularité des mœurs, d'un mot, le désordre dans la vie courante des fidèles. À ses yeux, ce n'est pas un hasard si le Grand Condé est à la fois ce libertin lettré qui accepte de rencontrer Spinoza et un opposant à la monarchie absolue, pas un hasard si une certaine morale aristocratique se nourrit de baroque, pactise avec la jeune science et pousse à la révolte, pas un hasard si la littérature sert de véhicule aux contestations nouvelles.
Bossuet fait front de tout son être. Sollicité ou non, il intervient. N'est-il pas devenu le chef moral de l'Église de France ? Pourtant, il ne s'est jamais assigné qu'une seule tâche : rendre perceptible à l'esprit de tous les hommes l'éternelle vérité de l'Église, gardienne d'un dépôt auquel il convient de ne rien ajouter ni retrancher. Avec fierté, il déclare ne tenir aucune opinion particulière. Seule l'Église catholique, Bible et Pères, Écriture et Tradition indissociables, arrache à l'illogisme et au chaos. À jamais, elle est source de l'unique vérité. « Tout son travail, écrit-il en des mots qui livrent le secret de ses innombrables combats, est de polir les choses qui lui ont été anciennement données, de confirmer celles qui ont été suffisamment expliquées, de garder celles qui ont été confirmées et définies. »
Une aussi belle assurance force le respect. Mais la position est intenable. La révolution, littéraire, artistique, philosophique, scientifique et religieuse tout à la fois, fera son chemin. Malgré l'habileté du pouvoir, l'inertie d'une Université qu'on a pu qualifier de « cendrillon de l'Église » et malgré Bossuet. Tout, en Occident, évoluera vers plus d'indépendance dans les divers domaines du goût et de la pensée. La gigantesque fresque que l'Aigle de Meaux, serein philosophe de l'histoire, proposait à son royal disciple apparaîtra bien vide de sens aux contemporains de Diderot. Par une cruelle ironie du sort, Bossuet a indirectement travaillé à hâter la formation de ce christianisme simplifié, réduit à un pâle symbolisme qui deviendra, au xixe siècle, la secrète religion de tant d'incrédules pieux.
Un homme d'Église
Né à Dijon, Jacques Bénigne Bossuet appartient à une famille de hauts magistrats qui s'était signalée, dans les troubles de l'époque précédente, par sa fidélité à la royauté. Il fit ses études secondaires au collège des Jésuites de sa ville natale. Destiné de bonne heure à la carrière ecclésiastique (tonsuré à huit ans, pourvu d'un canonicat à treize), il effectua des études supérieures à [...]
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Écrit par
- Jacques TRUCHET : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littérature française à l'université de Paris-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Média
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