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BOREL JACQUES (1925-2002)

Bien qu'il considérât son œuvre comme essentiellement autobiographique, Jacques Borel accepta que L'Adoration, son premier livre, fût sous-titrée roman. Le récit, en effet, a une logique qui n'est pas celle de l'histoire, mais de la mémoire ; il en suit tous les méandres. Et aucun Aveu différé (1997), selon le titre d'un autre de ses ouvrages, ne peut mettre fin à l'anamnèse : si précise qu'en soit la relation, le passé demeure une invention du présent.

L'Adoration, qui reçut le prix Goncourt à sa parution en 1965, s'ouvre sur cette phrase : « Je n'ai pas connu mon père... » À la suite de cette mort prématurée, l'enfant, né en 1925 à Saint-Gaudens, est élevé par sa grand-mère. Il a dix ans quand il rejoint sa mère à Paris. Elle travaille comme femme de chambre dans la maison que gère son frère. Élève au lycée Henri-IV, puis étudiant à la Sorbonne, Jacques Borel consacre son mémoire à l'œuvre de G. M. Hopkins. Il sera professeur d'anglais en France, et de français aux États−Unis, en 1967 ; entre 1969 et 1974, il est lecteur chez Gallimard ; de 1984 à sa retraite en 1986, il exercera les fonctions d'attaché culturel à Bruxelles.

De ces multiples activités, il n’est guère question dans son œuvre, qui concerne essentiellement l'enfance et ses paysages (Le Retour, 1970) et a pour figure principale la mère, humble et aimante. La sensibilité de l'adulte restera également marquée par le compagnonnage de l'enfant avec les « filles », et la compassion qu'elles lui inspirent ; car la mère, servante résignée, travaillait dans une maison close. L'œuvre de Borel est tout entière de célébration ; à la façon d'un officiant, comme dans une Pietá inversée, le narrateur soutient dans tous ses livres le corps symbolique de sa mère. Celle-ci sera plus tard hospitalisée à « Ligenère » (dans ce nom fictif s'entend celui de lingère). Elle avait été dépossédée de sa vie ; elle le fut de ses souvenirs ; en assistant impuissant à son entrée dans l'obscurité, le narrateur vit pareillement La Dépossession (1973).

Une impérieuse nécessité entraînait Jacques Borel à écrire presque continûment dans de petits carnets dont sont issus plusieurs de ses livres (L'Histoire de mes vieux habits, 1978 ; La Petite Histoire de mes rêves, 1981 ; Un voyage ordinaire, 1994). Un même flux verbal, avec des inflexions diverses et poussant parfois jusqu’au burlesque (Tata, ou l’Éducation, 1967), se poursuit ainsi d'un ouvrage à l'autre. Du dernier, La Mort de Maximilien Lepage (2001), Jacques Borel aimait dire qu'avec ce livre il avait écrit son premier roman ; car il ne s'agissait plus d'une remémoration, mais d'une anticipation. Notées au fur et à mesure, comme le sont les émotions et les impressions dans les carnets, ses conversations avec le poète Pierre Morhange firent pareillement l'objet d'un livre, Le Déferlement (1993). Le titre est significatif de l'œuvre entier ; on aurait pu parler également de « ressassement », sans qu'il y ait rien de péjoratif dans l'emploi de ce mot.

En 1994, Jacques Borel a publié deux livres, Journal de la mémoire et Propos sur l'autobiographie, dont les titres mêmes confirment la lecture habituellement faite de son œuvre. Il faut rappeler l'existence, à leurs côtés, d'un ouvrage antérieur intitulé Poésie et nostalgie (1979). Car la poésie fut l'une de ses préoccupations essentielles. Il a traduit les poèmes de Joyce (1967 ; rééd. 1979) ; il a édité Verlaine dans la Bibliothèque de la Pléiade (1962 et 1972), étudié les poètes qui, de Du Bellay à Guy Goffette, sont en quête d'une demeure (Sur les poètes, 1998).

L'importance de son œuvre est due à sa musique autant qu'à son souci de la vérité. Le[...]

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Écrit par

  • : écrivain, professeur honoraire à la faculté des lettres de Fribourg (Suisse)

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