LACRETELLE JACQUES DE (1888-1985)
Pour la postérité, Jacques de Lacretelle restera sans doute l'auteur de Silbermann (1922), histoire d'un jeune juif brillant, enthousiaste, ambitieux, dont l'avenir est brisé par les brimades de ses camarades de lycée et la complicité de leurs parents. Il était en cela le symbole du destin déchiré d'Israël. Les événements devaient apporter à ce livre un tragique regain d'actualité. Né en 1888 au château de Cormartin (Saône-et-Loire), Jacques de Lacretelle comptait parmi ses ascendants un avocat de Metz défenseur des israélites persécutés. Il revint un peu plus tard à la charge avec Le Retour de Silbermann (1929), œuvre tout aussi désespérée, et devait récidiver à la fin de sa vie en évoquant le sort d'un juif alsacien dans Quand le destin nous mène (1981).
Peut-être paralysé par les ombres de son arrière-grand-oncle et de son arrière-grand-père, tous deux de l'Académie française, voire par celle de son grand-père Henri, confident de Lamartine, Jacques de Lacretelle hésita longtemps avant d'écrire. « C'est finalement l'œuvre et l'amitié de Marcel Proust qui m'y ont poussé », a-t-il avoué. Il avait trente-deux ans lorsque parut son premier ouvrage, La Vie inquiète de Jean Hermelin (1920), écho romancé d'une rêveuse adolescence à la recherche d'elle-même. Deux ans après, le prix Femina couronnait Silbermann. Puis ce fut La Bonifas (1925), histoire d'une fille hors du commun en butte à la vindicte publique jusqu'au jour où, les circonstances aidant, elle prend en main les affaires de sa petite ville qui la vénère ensuite comme une héroïne. L'auteur met et mettra toujours en scène les mœurs de la bourgeoisie, ses ratés, ses tarés, ses lâches, ses médiocres, observés et analysés sans indulgence ni excès caricatural. L'étude psychologique plus fouillée d'Amour nuptial lui vaut en 1930 le grand prix du roman de l'Académie française – qui l'élira en 1936 au fauteuil de Henri de Régnier. Suit alors une sorte de saga romanesque en quatre volumes, Les Hauts Ponts (1932-1935), chronique de trois générations en proie au démon de la possession terrienne : chez Lise Darembert, personnage foudroyé, cette passion prend un relief monstrueux. Jacques de Lacretelle passe ensuite à d'autres exercices avant de revenir au roman en 1946, avec Le Pour et le Contre et le sombre imbroglio familial de Deux Cœurs simples (1952), où l'on retrouve, comme dans les récits précédents, les qualités du roman traditionnel, écrit dans le sillage de Stendhal et de Flaubert, et qui exige à la fois une intrigue solide et des caractères fortement campés – cela joint à une recherche constante de la perfection de l'écriture, de la pureté de la langue, de la clarté, du refus de toute grandiloquence.
Jacques de Lacretelle obéit aux mêmes impératifs formels dans ses autres écrits, qu'il s'agisse d'essais (Aparté, 1927 ; Idées dans un chapeau, 1946), d'ouvrages de réflexion, de confidences (Les Aveux étudiés, 1934), de récits de voyages, ou encore de son Journal. L'empreinte de Rousseau (celui des Rêveries) conjuguée avec celle de son ami André Gide marquent cette prose sensible et limpide, ce qui n'empêche pas Lacretelle de se sentir de plain-pied avec les écrivains de sa génération, et avec leurs aînés, dont il commente les œuvres avec une généreuse lucidité (Le Tiroir secret, 1959 ; Portraits d'hier et figures d'aujourd'hui, 1964). Il est significatif que le prix Marcel-Proust 1977 ait couronné Les Vivants et les ombres. Lacretelle a en outre révélé Mary Webb en traduisant Sarn et La Renarde, entre autres auteurs anglo-saxons. Jacques de Lacretelle avait d'autre part joué un rôle prépondérant lors de la renaissance du Figaro, autorisé à reparaître à la Libération, en 1944. Après[...]
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Écrit par
- Jean-Marie DUNOYER : journaliste
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