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DEROGY JACQUES (1925-1997)

Figure emblématique du journalisme d'investigation français, Jacques Derogy, né Jacques Julien Weitzmann le 24 juillet 1925, a fait ses études au lycée Henri-IV qu'il quitte pour fuir la capitale et l'avance allemande de 1940 ; il gagne les maquis d'Ardèche et passe la guerre dans la clandestinité. Après la Libération, il rentre à Paris pour s'inscrire à la Sorbonne. Mais son mariage avec la secrétaire du rédacteur en chef de Franc-Tireur modifie ses projets et il entre comme stagiaire à la rubrique faits-divers du quotidien : le voilà journaliste plutôt que philosophe.

S'il commence avec le fait-divers – compte rendu d'un procès criminel à Bordeaux en 1946 –, il passe rapidement au reportage politique, avec le suivi de l'épopée de l'Exodus et, de fait, tout au long de sa carrière, il ne négligera aucune catégorie : fait-divers, fait de société ou affaire politique.

En 1948, il quitte Franc-Tireur pour devenir grand reporter à Libération, dirigé à l'époque par Emmanuel d'Astier de La Vigerie, où il se spécialise dans les questions médicales. C'est ainsi qu'il est amené à réaliser une enquête, publiée le 13 octobre 1955, sur les femmes françaises et l'avortement, enquête qui lance le débat sur l'abrogation de la loi de 1920. Cela aboutira à la création du planning familial par Évelyne Sullerot en 1956. À cette occasion, Jacques Derogy se lance aussi dans l'édition en publiant un ouvrage réalisé à partir de son enquête : Des enfants malgré nous. Cela provoque son éviction du Parti communiste français, dont il était membre depuis 1946.

La « méthode Derogy » est en place : enquêter de façon approfondie, rigoureuse et obstinée, même si cela dérange, y compris ses amis politiques, doubler le travail journalistique d'un produit d'édition qui en élargit l'audience et la portée (il publiera une trentaine d'ouvrages), animer le tout d'un militantisme efficace, plutôt de gauche, au service de causes qu'il pense justes, qui n'exclut pas un certain goût pour la provocation. Son ouvrage Investigation passion, rédigé avec Jean-Marie Pontault en 1993, donne les clés de sa méthode : un texte important pour tout candidat à ce métier qui n'est pas sans risque, comme en témoignent les menaces de mort qu'il reçut de Jacques Mesrine en 1975 pour l'avoir qualifié de « minable » !

En 1959, il passe à L'Express où l'appelle Françoise Giroud, qui dirige l'hebdomadaire avec Jean-Jacques Servan-Schreiber. Il prend en charge le fait-divers qu'il partage d'abord avec Jean-François Kahn ; son association avec Jean-Marie Pontault commencera, elle, en 1984, et en 1986 il rejoindra Jean-François Kahn à L'Événement du jeudi, comme grand reporter puis membre du conseil de surveillance de l'hebdomadaire.

L'Express de la grande époque va permettre à Derogy d'exercer son métier de grand reporter avec un confort et des moyens que peu de journaux pouvaient offrir. En effet, et c'est une difficulté pour la presse d'information générale, le grand reportage, l'investigation coûtent cher, car cela mobilise les journalistes pendant des semaines ou des mois, et le résultat n'est jamais certain. Mais, précisément, les succès de Jacques Derogy vont consolider l'audience de L'Express. Après l'affaire Ben Barka de la période gaulliste, il va provoquer une relecture critique de la période de Vichy et de l'Occupation : il est en effet à l'origine de l'affaire Paul Touvier, ancien membre de la milice de Lyon, gracié par le président Georges Pompidou et que Jacques Derogy retrouve en 1972. Aucune des grandes affaires qui ont marqué les présidences suivantes ne lui a échappé, qu'il s'agisse de celles du septennat de Valéry Giscard d'Estaing (assassinats des juge Renaud,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire à l'université de Paris-II-Panthéon-Assas, Institut français de presse

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