DOILLON JACQUES (1944- )
Tout en revendiquant, une certaine marginalité, Jacques Doillon, né le 15 mars 1944 à Paris, a toujours été au centre des passions qui ont agité le cinéma français, qu'il s'agisse d'en louer la délicatesse appliquée à la peinture des sentiments, ou d'en fustiger l'intimisme, voire le nombrilisme, et l'étroitesse d'inspiration. Plus en retrait et pourtant plus exposé, pour le meilleur et pour le pire, que beaucoup de cinéastes de l'après-nouvelle vague, Doillon, notamment par sa fidélité aux budgets modestes, a défendu une liberté qui lui a permis de bâtir une œuvre très prolifique, en quête perpétuelle de nuance et de vérité.
C'est le regard attentif et complice que porte Doillon sur la jeunesse qui le distingue dès son premier film, Les Doigts dans la tête (1974), salué par François Truffaut, dont il est alors désigné comme un possible héritier. Un sac de billes (1975) pourrait le conforter à cette place, mais cette adaptation du best-seller de Josef Joffo (récit de la traversée de la France occupée par deux enfants juifs) restera l'unique incursion de Doillon dans un cinéma tempéré, économiquement confortable, ni trop ni trop peu personnel. La tendresse qu'il manifeste envers ses personnages s'accompagne rapidement, et définitivement, de la violence consubstantielle aux âpres leçons de vie dont ils font l'expérience, de La Drôlesse (1979), récit de l'enlèvement d'une pré-adolescente par un jeune homme avec lequel elle formera un étrange couple, à Ponette (1996), portrait souvent déchirant d'une enfant de quatre ans qui refuse d'accepter la mort de sa mère. En faisant porter toute son attention sur les sentiments, leur vitalité comme leur cruauté, Doillon met toujours en crise la cellule du foyer, famille et couple souvent mêlés, comme dans La Femme qui pleure (1979), où le conflit conjugal classique (mari, épouse, maîtresse) se répercute sur l'enfant qui en est le témoin, et dans La Fille prodigue (1981), où une femme quitte son époux pour revenir à son père, redevenir sa fille et devenir sa maîtresse. Poussé à son paroxysme dans La Pirate (1984), ce désordre amoureux fera jaillir une hystérie impressionnante mais jugée insupportable par beaucoup, à laquelle Doillon reviendra sous une forme plus caricaturale (La Tentation d'Isabelle, 1985), après le magnifique road-movie, ample et contemplatif, de La Vie de famille (1985).
L'affrontement, le duel souvent médiatisé par un tiers, thème décliné par tous ses scénarios, est aussi la figure formelle centrale des films de Doillon, qui a su raffiner cette dramaturgie, et relever le défi de son dépouillement, à travers une mise en scène de plus en plus élégante et inspirée, dont Comédie ! (1987, deux personnages dans un décor unique) donne un des exemples les plus frappants. Cette esthétique du face-à-face affronte aussi la dimension fondamentalement théâtrale du cinéma de Doillon, son mélange de naturel et d'artifice auquel l'épure complexe des plans séquences donne une respiration purement cinématographique. L'intrusion plus directe dans le monde du théâtre avec La Puritaine (1986) sera aussi moins convaincante, marquant la tentation du repli, qui guette toujours le cinéaste, vers des exercices plus rodés. La Fille de quinze ans (1989), L’Amoureuse (1991), Le Jeune Werther (1993) renouvellent à peine une donne romanesque et artistique qui, dans le ressassement, peut frôler le maniérisme. Mais avec Le Petit Criminel (1990), confrontation d'un policier et d'un jeune délinquant, Doillon surprend en s'aventurant dans le réalisme social tout en portant plus haut son ambition formelle, déjà étourdissante dans La Vengeance d'une femme (1990). Avec cette reformulation de L'Éternel Mari de Dostoïevski en entreprise de persécution sur le terrain[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
Classification
Média
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