DUTRONC JACQUES (1943- )
« Le plaisir n'a pas de mesure, tous les goûts sont dans ma nature », chante Jacques Dutronc en 1987. Cette phrase définit bien l'image qu'il veut donner de lui-même. Dandy insolent, un rien macho, un rien cynique, aux blessures à peine masquées et souvent noyées, à la tendresse maîtrisée, il a rénové le style fantaisiste avec la complicité de son auteur de prédilection, Jacques Lanzmann.
Il naît le 28 avril 1943, grandit dans le IXe arrondissement de Paris, tout près de la Trinité, un quartier où se retrouve une bande de jeunes gens parmi lesquels figurent Jean-Philippe Smet (futur Johnny Hallyday), Claude Moine (Eddy Mitchell), Long Chris et Danny Logan, qui connaîtront leurs heures de gloire dans les années 1960. Son père, ingénieur aux Charbonnages de France, se passionne pour la musique et passe son temps libre à animer des bals de quartier. Jacques quitte l'école à seize ans. Il s'est déjà essayé au violon, à la contrebasse et à la batterie avant de découvrir la guitare. Avec un copain de quartier, Hadi Kalafate, qui restera très longtemps près de lui, il forme ses premiers groupes. En 1962, tous les deux entrent dans l'aventure El Toro et les Cyclones, le temps de se frotter au public et d'enregistrer deux 45-tours qui passeront inaperçus. Les concerts débutent avec un morceau instrumental signé Dutronc, sur lequel André Salvet et Lucien Morisse écrivent des paroles. La chanson s'intitule Le Temps de l'amour. Elle est enregistrée par Françoise Hardy, qui, après une dizaine d'années de vie commune, épouse Jacques Dutronc le 31 mars 1981, à la mairie de Monticello, en Corse.
De retour du service militaire en 1964, Dutronc est guitariste d'Eddy Mitchell le temps d'une tournée. L'année suivante, son ami Jacques Wolfsohn, directeur artistique chez Vogue, lui propose d'être son assistant. Par jeu, Jacques Dutronc met en musique des textes de l'écrivain et journaliste Jacques Lanzmann. Plusieurs interprètes font des maquettes mais c'est finalement Jacques Dutronc, qui ne se sent pas une vocation de chanteur, qui les enregistre.
Sortie en avril 1966, la chanson Et moi et moi et moi ne commence à trouver son public qu'au mois d'août : en quelques jours, le titre se retrouve en tête de tous les hit-parades. Ce manifeste de l'indifférence moderne chanté sur un rythme de rock minimaliste survole l'égoïsme de toutes les classes de la société. Chacun, à défaut de s'y retrouver, peut désigner son voisin. Dutronc prend tout le monde à contre-pied. Alors que la mode est à la contestation, à la protestation, au rejet de tous les codes en vigueur, il ose la parodie insolente et lucide, vêtu de costumes trois-pièces d'excellente coupe. Les trois autres chansons de ce premier 45-tours font mouche elles aussi. J'ai mis un tigre dans ma guitare, Les Gens sont fous, les temps sont flous, Mini mini mini sont de la même veine. Dutronc les jette de la même voix nonchalante et désinvolte, un sourire ironique aussi bien vissé sur les lèvres que ses légendaires cigares.
Derrière l'apparent dilettantisme et la facilité insolente, les textes sont travaillés comme des slogans et les compositions sont abouties, loin des imitations de succès anglo-saxons très en vigueur dans la variété d'alors. Le succès du disque suivant confirme la place qui incombe à Dutronc. Les Play-boys, On nous cache tout on nous dit rien, La Fille du Père-Noël soulignent définitivement l'originalité du chanteur.
En quelques mois, Jacques Dutronc vend plus d'un million de disques. Il fait partie intégrante du paysage national et les formules de ces chansons sont entrées dans le langage de la rue. Georges Pompidou, alors Premier ministre, ne s'y trompera pas lorsqu'il citera Les Cactus à la tribune de l'Assemblée nationale.
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Écrit par
- Alain POULANGES : auteur
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