BLONDEL JACQUES-FRANÇOIS (1705-1774)
Affrontement des théories
Autour de Blondel, dans l'Europe des Lumières, une réflexion critique s'instaurait sur l'essence de l'architecture, la validité des structures traditionnelles, l'emploi raisonné des matériaux. L'esprit philosophique essayait d'abstraire les lois de la composition, dans l'espoir de fonder la beauté sur la raison. Dès le début du siècle, l'abbé de Cordemoy avait osé mettre en cause quelques principes admis de son temps. Ses critiques avaient trouvé leur écho chez l'ingénieur Amédée Frézier, le carme vénitien Lodoli, le jésuite Marc-Antoine Laugier. La valeur universelle accordée par l'âge humaniste aux ordres gréco-romains pouvait être contestée. Ce langage architectural ignorait la variété des climats et des matériaux, l'évolution des sociétés ; consacré par le génie des maîtres, il pouvait être conservé, mais exigeait une justification philosophique. Laugier l'emprunte à Vitruve, qui considère le temple comme la transposition de la hutte primitive et les colonnes comme l'équivalent des troncs employés à la bâtir. Les conceptions animistes de Laugier sauvaient ainsi l'ordre antique en désignant ses modèles dans la nature ; mais elles impliquaient une réforme de la syntaxe architecturale. Comme des troncs enracinés, les colonnes devaient surgir du sol, embrasser les étages et supporter réellement, tel un linteau, l'entablement général de l'édifice. Cette proposition révolutionnaire condamnait les soubassements, les colonnes engagées, les pilastres et la superposition des ordres. Sur ce point, Laugier heurtait fortement Blondel, qui enseignait à orner l'édifice à l'échelle de chaque étage et regardait l'ordre colossal, surtout dans un hôtel ou un château, comme une licence et un signe d'ostentation. Laugier n'admettait les frontons que s'ils répondaient aux deux versants d'un toit. La pensée du jésuite rejoignait ici celle du carme Lodoli, pour qui l'apparence d'un édifice devait exprimer sa structure et sa fonction. Leur contemporain Diderot a défini mieux que personne ce principe, celui du fonctionnalisme architectural : « Un morceau d'architecture est beau lorsqu'il y a de la solidité et qu'on le voit, qu'il a la convenance requise avec sa destination et qu'elle se remarque » (à Sophie Voland, 2 sept. 1762). Blondel, qui en appelait à « la logique de l'architecture », s'associait à cette pensée, mais se sentait impuissant à concilier les formes gréco-romaines et la commodité exigée de son temps. Ses conceptions étaient aussi dangereusement menacées par une crise de la composition architecturale qui s'était ouverte en Angleterre et se répandit en France après le milieu du siècle. L'idéal de François Mansart, celui de la hiérarchie graduellement ménagée entre la dominante centrale et les corps latéraux, allait faire place à l'opposition contrastée de volumes tels que le cube, le cylindre de la demi-sphère, à un dépouillement des formes architecturales où l'on a pu voir l'anticipation de notre époque. Blondel, comme l'amateur Algarotti, assistait, en témoin lucide mais déchiré, à la dissolution d'un système issu de la Renaissance et que le règne de Louis XIV avait conduit à sa perfection. Bien que formés à son école, des artistes comme Ledoux, Louis, Cherpitel et de Wailly étaient portés par les courants de leur siècle et partageaient les sentiments des novateurs. Dans un curieux roman publié après sa mort, L'Homme du monde éclairé par les arts, Blondel, débordé par ses élèves, nous a laissé le témoignage de son amertume. Un gentilhomme y commente à une dame de ses amies les productions architecturales de l'ancienne et de la nouvelle école. À propos de l'hôtel d'Uzès, l'un des premiers[...]
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Écrit par
- Michel GALLET : conservateur du Patrimoine en chef de la Ville de Paris, membre associé de l'Académie d'architecture
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