LARTIGUE JACQUES HENRI (1894-1986)
C'est tardivement, au début des années 1960 – alors qu'il avait déjà près de soixante-dix ans –, que Jacques-Henri Lartigue s'est vu propulsé dans la lumière médiatique. Sa vie prend brutalement le relief d'une légende dorée : celle d'un éternel jeune homme, d'un dandy copur-chic – comme on disait dans les années 1920 –, aux cheveux blancs, mince et élancé, d'un séducteur facétieux et bondissant qui aurait inventé le bonheur et la joie de vivre.
Fêté par l'Amérique, consacré par Life, à la faveur d'une première exposition au Museum of Modern Art de New York en 1963, admiré par Richard Avedon, l'un des maîtres de la photographie américaine – qui choisit les photographies de l'une de ses premières anthologies, Diary of a Century –, Jacques-Henri Lartigue devint, d'un coup, Lartigue, l'homme public, le photographe en vogue qui accepte, en 1974, de réaliser, sous le drapeau, le portrait « officiel » du président de la République Valéry Giscard D'Estaing. Depuis lors, ses photographies ont fait le tour du monde et conquis tous les publics, au point qu'une publicité pour un matériel photographique japonais le désigne alors comme « le photographe le plus aimé du monde ».
La traversée du siècle
Comme bien souvent, le mythe occulte la part secrète et réservée de l'homme, comme hanté par un projet solitaire. Né le 13 juin 1894 à Courbevoie, il est initié à la photographie par son père, homme d'affaires, qui la pratique en homme éclairé. C'est à six ans que l'enfant prodige prend conscience de ce qu'il appelle « son piège d'œil », une inclination ludique qui le fait photographier tout ce qui le fascine : jeux de plein air, expériences d'aéroplanes, inventions sophistiquées de son frère « Zissou », motocyclettes, automobiles, élégantes du bois de Boulogne, événements et plaisirs familiaux, vacances d'été à Pont-de-l'Arche et au château de Rouzat. Dès 1902 – soit à huit ans –, il commence la réalisation de lourds albums qui réunissent images et notations manuscrites. Il ne cessera de les remplir, jusqu'à sa mort, produisant un énorme roman familial, une saga unique, une irremplaçable chronique sur la traversée d'un siècle, où s'entrelacent relations amoureuses, amitiés célèbres, voyages et émotions, airs du temps et mutations. Après un passage à l'académie Julian où il apprend les rudiments de la peinture, il transcrit l'existence brillante et mondaine – mais non sans blessure – qu'il mène auprès de ses compagnes successives durant l'entre-deux-guerres : Madeleine Messager dite « Bibi », fille du célèbre compositeur et chef d'orchestre ; Renée Perle, qui lui inspire ses plus beaux portraits de femme ; Marcelle Paolucci dite « Coco », qui l'introduit dans les milieux du cinéma ; et enfin Florette, rencontrée en 1942 et qu'il ne devait plus quitter. De Biarritz à Saint-Moritz, de Deauville à Nice, thés dansants, parties de tennis avec la championne Suzanne Lenglen, raouts chez Sacha Guitry, Van Dongen ou Picasso, grands prix de l'Automobile-Club de France ou records des premiers aviateurs, concours d'élégance (drags) à Longchamp, parkings de Detroit ou mode des mini-jupes à Londres, autant d'images qui forment la trame d'une vie et d'une époque et qui appartiennent désormais à notre mémoire collective.
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Écrit par
- Elvire PEREGO : historienne de la photographie, département de la recherche bibliographique, Bibliothèque nationale de France
Classification
Autres références
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PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple
- Écrit par Hervé LE GOFF et Jean-Claude LEMAGNY
- 10 750 mots
- 20 médias
...proche du travail d'un Christian Boltanski ou d'un Jean Le Gac. Rétrospectivement, le journal intime photographique qu'est l'œuvre de Jacques-Henri Lartigue, à partir de 1902, prend de ce point de vue un singulier relief. Dans The Lines of my Hand (1972), Robert Frank revoit sa vie à...