HEURGON JACQUES (1903-1995)
L'étruscologue Jacques Heurgon est mort le 27 octobre 1995. Issu d'une grande famille de joailliers parisiens, il a exercé pendant un demi-siècle un ascendant inégalé sur les savants, historiens ou philologues travaillant sur l'Italie antique et la littérature latine. Après des études au lycée Condorcet, il entre à l'École normale supérieure (1923), est reçu premier à l'agrégation de lettres et, après ses obligations militaires, est nommé membre de l'École française de Rome où il séjourne trois ans (1928-1930). Il enseigne ensuite au lycée Henri-Poincaré de Nancy puis rejoint la faculté des lettres d'Alger en qualité de chargé de cours : il a la chance d'y découvrir le talent précoce d'un jeune étudiant qui s'appelle Albert Camus et qui lui dédiera plus tard une nouvelle de Noces (« L'Été à Alger »). Il s'illustre pendant la campagne d'Italie, ce qui lui vaut, en même temps qu'une triple citation, l'honneur de redéployer le drapeau français sur le Palais Farnèse à la Libération et d'être nommé attaché culturel à l'ambassade. Son séjour romain lui offre ainsi l'occasion de nouer de solides amitiés, en particulier avec le père de l'étruscologie moderne, Massimo Pallottino. En mars 1945, il soutient sa thèse (Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue pré-romaine des origines à la deuxième guerre punique) et sa thèse complémentaire (Études sur les inscriptions osques de Capoue dites Iúvilas), deux travaux publiés depuis 1942 et qui, aujourd'hui encore, sont cités comme ouvrages de référence pour la rigueur de la méthode et la clarté de l'exposition. Il est aussitôt nommé professeur à la faculté des lettres de Lille, où il enseigne pendant quatre ans (dirigeant en même temps la première circonscription des antiquités historiques), avant d'être élu en 1951 maître de conférences, puis professeur à la Sorbonne : c'est là que, pendant vingt ans, il formera des générations d'étudiants, animant en même temps un séminaire à l'École normale de la rue d'Ulm.
Le professeur n'avait pas son pareil pour commenter un poète archaïque, un vers de Virgile ou une page de Tite-Live : ses cours sur Ennius ou Lucilius destinés aux étudiants constituent aujourd'hui encore des travaux de références, tout comme son édition commentée du livre I de l'Histoire romaine de Tite-Live dans la collection Erasme. Son édition du livre I des Res rusticae de Varron est l'œuvre d'un philologue attentif aux résultats de l'archéologie. Très tôt cependant, le savant s'est orienté vers les antiquités étrusco-italiques et il a été en France, avec son ami Raymond Bloch, le fondateur de l'étruscologie.
La Vie quotidienne chez les Étrusques (1961) constitue la meilleure introduction à cette discipline qui exige de solides connaissances en linguistique ancienne et en archéologie : on y découvre, à côté du savant, un écrivain au style nerveux et élégant, apte à décrire avec toutes les nuances qui s'imposent le charme de l'Étrurie antique et de la Toscane contemporaine, le mystère des grandes nécropoles, la fascination d'une grande civilisation disparue (l'ouvrage a été traduit en plusieurs langues). Si la Campanie et la Rome archaïque et républicaine ont constitué le point de départ et le centre de ses recherches, Jacques Heurgon a su élargir le champ de ses investigations à la Grande-Grèce (en participant régulièrement aux congrès de Tarente), aux antiquités de l'Afrique du Nord (recherches sur Tipasa, études sur le trésor de Ténès, sur le rhéteur Fronton de Cirta), aux antiquités gallo-romaines (études sur les fouilles de Bavay, Boulogne, Amiens, en particulier sur la patère d'Amiens dans les Monuments[...]
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Écrit par
- Charles GUITTARD : ancien élève de l'École normale supérieure, ancien membre de l'École française de Rome, professeur à l'université de Clermont-II-Blaise-Pascal
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