LACAN JACQUES (1901-1981)
La structure
Ce retour aux fondements ne vise à rien de moins qu'à une restauration du concept de l'inconscient. Lacan s'en était donné les prémisses dès 1936 dans sa communication reprise en 1949 sous le titre « Le Stade du miroir comme formateur de la fonction du Je ». Sans qu'y apparaisse une définition de la structure au sens strict, on y trouve un des éléments majeurs de la critique de la psychanalyse américaine et de sa variante française, la matrice de l'imaginaire. Fondamentalement, le débat porte sur l'inconscient.
Ce stade est un fait d'observation du comportement du petit enfant, qu'a analysé le psychologue Henri Wallon. Entre six et dix-huit mois, l'enfant manifeste sa jubilation, jusqu'à en faire un jeu, devant sa propre image vue dans le miroir où il se regarde ou dans celle que lui renvoie tout autre, tout semblable en qui il se reconnaît et s'identifie. Sa joie vient de l'anticipation leurrante que cette image lui offre, presque à portée de la main, de la forme aliénée d'une maîtrise de lui-même et d'une complétude auxquelles ce qu'il éprouve de discordance intra-organique ne lui permet pas d'accéder. Cette image le réjouit à mesure de son contraste avec sa détresse, de sa dépendance devant ses besoins et son environnement, bref de tout ce qui s'inscrit dans le double registre de la prématuration propre à l'enfant humain et de son impossible autonomie. Cette image est la sienne, c'est aussi celle d'un autre. Il s'y identifie en s'aliénant ; il s'y saisit comme forme en en excluant son désir. Elle est le prototype de toute identification imaginaire, avec son versant d'ambivalence.
Le moi, comme instance, est cette image, objet narcissique où réapparaissent les pièges, les leurres et les illusions d'une psychologie à la recherche d'une instance supérieure fondatrice d'une synthèse de la personnalité. Cette fonction, prétendue supérieure, de synthèse et d'unité, garante d'un rapport stable, c'est-à-dire non fantasmatique, aux autres et à la réalité, n'a que la consistance virtuelle des contours d'une image. Elle réintroduit les pièges théoriques du problème de la conscience, que Freud a dû écarter comme instance psychique pour construire la seconde topique, celle du ça, du moi et du surmoi. Lacan le relève très justement : « La seule fonction homogène de la conscience est dans la capture imaginaire du moi par son reflet spéculaire et dans la fonction de méconnaissance qui lui reste attachée. »
Il s'engageait par là dans une voie opposée à celle que promouvaient Heinz Hartmann, Ernst Kris et R. Loewenstein. À une théorie de la cure qui cherchait dans le moi l'étalon de la réalité supposée partagée et l'assise d'une stabilité du sujet face aux effets vacillants et fragmentaires de l'inconscient, il objectait le caractère purement imaginaire de cette instance et la nécessité de situer le sujet là où se trouve son véritable fondement, dans la parole. Une parole dont la fonction est indéfinissable hors du champ symbolique du langage. Cette critique était aussi un rejet des idéaux analytiques, dont une telle orientation ne pouvait que se faire le chantre. Idéaux d'adaptation et de normativité, faits de réussite et de reconnaissance sociale, où l'analyste perd son désir et son identité dans la quête de l'identique et du semblable. Au moi aliéné, Lacan oppose le Je, sujet divisé de l'inconscient, qui parle et s'en distingue. Devant le miroir, l'enfant n'est pas seul face à son image ; il interroge l'autre présent ou absent sur ce qu'il voit et ce qu'il est. Cet autre qui n'est déjà plus le semblable, c'est l'Autre, la mère comme Autre réel, mais aussi cette altérité[...]
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Écrit par
- Patrick GUYOMARD : psychanalyste, maître assistant au département de psychanalyse de l'université de Paris-VIII
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