LACAN JACQUES (1901-1981)
L'algorithme et le signifiant
Lacan emprunte à Ferdinand de Saussure le terme de « signifiant », en le subvertissant à peu près complètement. L'homologie des structures devait le mener à théoriser celle de l'inconscient à partir de l'algorithme saussurien (signifiant/signifié), dans la mesure où il était lui-même un élément de la structure du langage.
Saussure inscrit le signifiant en regard du signifié comme l'autre face indissociable du signe. La barre qui écrit le rapport entre l'image acoustique (signifiant) et le concept (signifié) les distingue et les relie l'un à l'autre dans l'équilibre, même instable, du signe. Nulle prééminence de l'un des termes sur l'autre ; ils sont comme le recto et le verso d'une feuille de papier, deux faces indissociables. Lacan désarrime le signifiant de tout rapport homonymique au signifié et affirme, dans son ordre, son autonomie. C'est plus que celle du son par rapport au sens ; c'est celle de l'ordre symbolique constitué par le langage où prime le signifiant. Il préexiste au sujet humain et lui survivra ; il le fait homme ou femme ; il trace des voies de son destin et le prive de tout rapport naturel au monde, à qui il devient étranger comme à lui-même.
La signification n'épuise ni ne sature le signifiant. Son altérité, index pour le sujet parlant de sa prééminence sur le signifié, se marque par la fonction spécifique de la barre. Elle est une limite impossible à franchir, résistante à la signification ; elle nécessite un saut. Elle peut alors recevoir du discours analytique un autre nom ; elle devient le concept d'un impossible rapport entre les mots et les choses, entre l'homme et le monde, entre les hommes et les femmes. Le nom de ce qui manque pour rendre possible cet accord, le nom de ce que perd le vivant à être sexué comme homme ou femme et le concept, le signifiant, de ce qui rend ce rapport impossible. Ce nom était, pour Freud, celui du phallus, signifiant de la castration. Lacan fait du phallus un signifiant – c'est-à-dire non une chose ou un organe, mais un symbole qui n'existe que du langage, puisque, seul, l'être parlant rencontre la castration –, un signifiant qui devient justement cette barre s'interposant entre le signifiant et le signifié. Redoublement de la fonction du signifiant, qui détermine le signifié sans s'y perdre et le barre, c'est-à-dire le transforme en un autre signifiant, sans se barrer lui-même. Le phallus « devient la barre qui [...] frappe le signifié, le marquant comme la progéniture bâtarde de sa concaténation signifiante ». Point de filiation naturelle entre le signifiant et le signifié.
S'ensuivent une rhétorique et une stylistique de l'inconscient qui définissent ses formations, issues de ce que Freud appelait le processus primaire, dans le champ du langage qui est le leur. La condensation et le déplacement sont assimilables à la métaphore et à la métonymie, dans les deux axes syntagmatique et paradigmatique du langage. La condensation est une métaphore. Elle définit tout refoulement et le refoulement originaire comme métaphore constitutive de l'inconscient, ainsi que la métaphore du nom-du-père, dont la forclusion est la condition structurale de la psychose. Le déplacement est une métonymie par quoi le désir glisse d'un signifiant à un autre sous l'effet d'un objet à jamais perdu qui le cause et dont il n'est que la quête métonymique. Objet partiel qui l'exclut de toute totalité. Ce n'est pas une traduction ; le langage n'est pas une superstructure. Il n'y a pas de métalangage et ce qui se dit dans l'inconscient n'est pas fait d'une autre étoffe que celle du langage. « Si le symptôme est une métaphore, ce n'est pas une métaphore de le dire, non plus que de dire que le désir de l'homme est une métonymie. Car le symptôme [...]
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Écrit par
- Patrick GUYOMARD : psychanalyste, maître assistant au département de psychanalyse de l'université de Paris-VIII
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