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LAURENT JACQUES (1919-2000)

Sans même tenir compte de ses nombreux pseudonymes, il y eut de bien nombreux Jacques Laurent au cours de la seconde moitié du xxe siècle, depuis le publiciste, jusqu'au membre de l'Académie française, élu en 1986. On le trouve au premier rang dans la plupart des polémiques des années 1950 opposant gauche et droite, résistance gaulliste et vichysme renaissant, Les Temps modernes et La Parisienne, L'Express et Arts. Formé par Maurras, Léon Daudet et Jacques Bainville, Jacques Laurent se révéla un polémiste de vocation, le meilleur de cette extrême droite littéraire qui, sous le terme de « hussards », sut revendiquer la liberté et le plaisir d'écrire.

Une fois révolu le temps des polémiques, il faut convenir que le meilleur rôle de Jacques Laurent n'est pas celui de l'anti-Sartre providentiel, qu'il revendique avec son Paul et Jean-Paul (entendons Bourget et Sartre). Plus tard, en 1977, Laurent écrira l'un de ses plus beaux livres, Roman du roman. Le chapitre premier, qui présente à la fois un souvenir d'adolescence et une vocation immédiate de romancier, égale, par son écriture jubilante, un autre récit d'enfance, Les Mots, du rival exécré. Jacques Laurent, dans le genre de l'essai, ne pouvait écrire que contre le détenteur d'une position dominante, qu'il eût nom de Gaulle, Sartre, Mauriac, Barthes, ou l'université. La limite de sa pensée tient à cette pugnacité constitutionnelle.

Les romans signés Jacques Laurent sont nombreux, passionnants, tout à fait inégaux, même à l'intérieur du même récit. Le lecteur de Laurent croit reconnaître, à l'origine de cette production, un engagement juvénile du côté de Vichy, au cabinet de Paul Marion, beaucoup plus avancé que ne le dit l'auteur d'Histoire égoïste (1976). Dans le périodique Idées, où Drieu la Rochelle signe ses professions de foi collaborationnistes, un certain Jacques Bostan va aussi fort loin dans ce sens. Le choc de l'épuration et l'échec d'un premier roman très ambitieux, Les Corps tranquilles (1948), vont susciter une fièvre romancière qui ne cessera de transposer les thèmes d'une scène originaire, qui est aussi, dans l'Histoire, une défaite à conjurer. Dès Le Petit Canard (1954), un style allègre et sec, limpide et mordant, obstinément froid est trouvé. C'est avec Les Bêtises (1971, prix Goncourt) que le romancier s'impose à la critique et au public. Le personnage laurentien – qu'il soit homme ou, plus souvent, femme – est toujours quelqu'un qui double sa vie par l'écriture, qui évolue entre une vraie vie, qu'il tient pour fausse, et plusieurs fausses vies, qui s'imposent comme vraies. En racontant les vies multiples, et en présentant les œuvres fictives d'un homme qui écrit « les Bêtises de Cambrai », Laurent invente un dispositif de roman spéculaire vertigineux.

On trouvera sans doute plus d'émotion et même de pathétique dans Les Sous-ensembles flous (1981), un roman nourri par les inquiétudes métaphysiques d'Éros et de Thanatos. Ici, un grand romancier semble être né d'un philosophe à la vocation assurée, mais avortée. Voué au libertinage aussi érudit qu'érotique, Jacques Laurent excelle dans la création de figures de femme à la double ou triple vie. Ainsi, dans Les Dimanches de mademoiselle Beaunon (1982), le romancier réconcilie-t-il un lecteur assoiffé d'identification avec un genre romanesque qui, disait-on, avait éradiqué la notion même de personnage. D'un roman plus tardif, Le Miroir aux tiroirs (1990), on retiendra l'épisode d'une femme qui sacrifie sa vie érotique à l'écriture du journal de cette même vie, et qui affronte le grand dilemme entre vivre sa vie et la raconter.

Et si les romans les plus plaisants et les plus généreux de l'auteur étaient ceux[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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