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JACQUES LE FATALISTE ET SON MAÎTRE, Denis Diderot Fiche de lecture

Convictions et pouvoirs

Jacques et son maître discutent, racontent, disputent aussi : et, comme dans Le Neveu de Rameau, n'est pas philosophe qui veut. Cousin du Sganarelle discoureur maladroit de Dom Juan, Jacques croit et répète à tout va que « tout est écrit là-haut », qu'il faut accepter chaque accident du sort sans broncher. Un rien hautain face à « cette espèce de philosophe », le maître croit, lui, dans le libre-arbitre, vaine conviction qui ne l'empêche pas de se lamenter d'un cheval volé, de « trembler » devant une douzaine de brigands, et de laisser son valet aller régler « froidement » l'affaire. À quoi sert-il de se sentir libre, demande Diderot, si c'est pour ne jamais rien « faire » et se regarder toujours comme le maître « en chrysalide », « charmante » image pour désigner son état de larve ? Jacques à l'inverse fait sien le carpe diem des Anciens, sait qu'on peut tout tenter qui ne pourra a posteriori être rapporté au « grand rouleau » du Ciel. Dans sa bouche, ce dernier tient un peu du rotulus de l'acteur, du « rôle » de Jacques qu'il endosse volontiers (« Un Jacques ! un Jacques, Monsieur, est un homme comme un autre »). Tout ne commence-t-il pas d'ailleurs par un providentiel enrôlement ?

Le partage entre volonté et action porte en germe la dénonciation de l'injustice sociale : « Il fût arrêté que vous auriez le titre, et que j'aurais la chose, ironise le valet. [...] Jacques mène son maître. » Les chamailleries bon enfant des deux complices n'ont rien du soubresaut pré-révolutionnaire, d'autant que l'image insistante du grand livre où le destin des personnages est écrit fait de la déstabilisation sociale un amusement d'écrivain. Jacques n'en est pas moins, à mi-chemin du modèle moliéresque et du Neveu de Rameau, une figure moderne de l'original, bon vivant, vil mais énergique, « maître de [s]oi », bien qu'« inconséquent », « comme vous et moi » précise et martèle Diderot : comme le lecteur, un jouet ballotté par les inconséquences du maître-écrivain.

— Jean-Christophe ABRAMOVICI

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