LE GOFF JACQUES (1924-2014)
Une méthode historique renouvelée
Si son apport historiographique majeur est situé au sein de courants tels que l’histoire des mentalités et l’anthropologie historique, la variété de ses travaux excède ces étiquettes. Lecteur de Marc Bloch et de Lucien Febvre mais aussi étudiant de Charles-Edmond Perrin à la Sorbonne, il est d’abord l’héritier des propositions des Annales des années 1930 visant à promouvoir l’histoire sociale, ce qui est sensible dans ses premiers travaux, qui inaugurent un intérêt jamais démenti pour les sociétés urbaines. Il poursuit un dialogue critique, discret mais fécond, avec la tradition historiographique inspirée par Marx, qui reste un point de repère de son travail durant l’ensemble de sa vie. L’influence de Fernand Braudel, à partir des années 1950, le conduit à épouser le projet d’une histoire « totale », tant dans sa capacité à saisir les objets du passé dans leur intégralité qu’à fédérer les différentes sciences sociales. Cette ambition, qui s’illustre bien dans la notion de « civilisation médiévale », et qui lui permet, à la suite de Marc Bloch, de décrire la cohérence de la société occidentale dans la très longue durée – au moins un millénaire, voire, avec ce qu’il appelle le « long Moyen Âge », du ive au xviiie siècle – relève d’une sociologie historique qui inspire le premier intitulé de son enseignement à la VIe section de l’E.P.H.E. À partir de 1973, il modifie la dénomination de son séminaire en formulant la proposition d’une « anthropologie historique », signalant une inflexion de son travail dans le sens d’une attention plus grande aux catégories de la perception, à commencer par le temps et l’espace. Ses recherches rencontrent alors celles de l’école structuraliste d’anthropologie, en particulier Claude Lévi-Strauss, mais aussi des spécialistes de l’Antiquité, tels Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet. L’intérêt pour des questions plus politiques, à partir des années 1980, n’affecte pas cette orientation au sein de laquelle l’ « imaginaire » tient une place centrale. En ce sens, Jacques Le Goff prolonge l’intérêt de Lucien Febvre pour la psychologie historique, en en proposant une interprétation culturaliste qui est parallèle aux transformations de l’anthropologie culturelle ou aux évolutions du marxisme en Italie sous l’influence d’Antonio Gramsci, ou au Royaume-Uni avec Edward P. Thompson. Ces enjeux théoriques restent toutefois cantonnés à l’arrière-plan de son écriture : privilégiant la clarté d’exposition et réticent à s’engager dans les débats épistémologiques, le style historiographique de Jacques Le Goff se tient à distance d’une approche trop modélisatrice et de ses présupposés méthodologiques. Il se caractérise par une ouverture inédite à la diversité des documents, exploitant aussi bien les archives que les images, même si l’on note une prédilection pour les sources narratives, romans, chroniques ou littérature spirituelle, dont le commentaire constitue souvent la charpente de ses écrits.
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Écrit par
- Étienne ANHEIM : maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Classification
Média
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