LOUSSIER JACQUES (1934-2019)

Issu d’un milieu modeste, Jacques Loussier voit le jour le 26 octobre 1934 à Angers. Ses dispositions musicales sont telles qu’il est admis, dès ses seize ans, au Conservatoire de Paris dans la classe de piano d’Yves Nat. Il y trouvera les bases d’une solide formation instrumentale… et aussi, par d’irrévérencieuses improvisations sur des thèmes empruntés à Jean-Sébastien Bach, l’occasion de divertir ses camarades. L’un d’eux, Jean-Paul Eustache, lui demande de tenir à sa place le piano dans une brasserie de Caen. Ce sera le premier des nombreux chemins de traverse choisis par le jeune musicien. En 1954, il abandonne le cursus traditionnel et parcourt le monde en quête d’horizons esthétiques nouveaux. C’est ainsi qu’il passe deux années au sein d’un orchestre tzigane à Cuba. De retour en France, il « cachetonne » dans les studios, fait des arrangements pour Frank Alamo, accompagne Catherine Sauvage, Suzy Delair, Charles Aznavour et Léo Ferré.

En 1959, il fonde un trio avec le bassiste Pierre Michelot (1928-2005) et le batteur Christian Garros (1920-1988) avec l’ambition de « rajeunir » Bach en mode swing. Avec un titre en forme de calembour, Play Bach, cinq albums successifs vont obtenir un succès planétaire. Cet impertinent « entre-deux » musical ne pouvait, à l’évidence, qu’irriter les gardiens du temple classique et les amateurs de jazz passionnés. En dépit des critiques de ces deux camps, le triomphe ne se dément pas auprès d’un très large public : près de 8 millions d’albums vendus et quinze ans de tournées dans le monde entier. On a recensé, entre 1960 et 1970, un nombre de concerts proche de trois mille. Au fil des années, la formule du trio jazzy, tout en restant fidèle à Bach, s’est attaquée au répertoire de nombreux autres musiciens classiques : Vivaldi, Haendel, Mozart, Beethoven, Schumann, Satie, Debussy et Ravel.

Compositeur éclectique et prolifique, Jacques Loussier s’exprime dans les genres les plus divers. Il signe une cinquantaine de musiques de film, notamment pour les réalisateurs Jean-Pierre Melville (Le Doulos, 1962), Yves Ciampi (Le Ciel sur la tête, 1965), Michel Audiard (Une veuve en or, 1969), Jean Delannoy ou Alain Jessua. Il participe aussi au document animalier Le Peuple singe produit en 1989 par Jacques Perrin. Il est l’auteur de plus de cent génériques pour des feuilletons télévisés. Parmi les plus célèbres, citons Thierry la Fronde (1963), Rocambole (1964), Rouletabille (1966), Lagardère (1967) et Vidocq (1967).

L’année 1980 voit la dissolution du trio initial. En 1985, à l’occasion du tricentenaire de la naissance de Jean-Sébastien Bach, Jacques Loussier en forme un second avec André Arpino (percussions) et Vincent Charbonnier (contrebasse). Sollicité sur les cinq continents, il relance, avec le répertoire qui a fait sa gloire, une carrière désormais essentiellement internationale. Ses partitions de forme classique sont également nombreuses : deux concertos pour violon et orchestre (le premier avec percussions, le second avec tabla), un concerto pour trompette et orchestre, une suite pour piano et synthétiseur, une messe intitulée Lumières pour contre-ténor, soprano, chœur, percussions et orchestre, Tableaux vénitiens pour cordes, et une musique de ballet, Les Trois Couleurs, écrite pour Serge Golovine et Claude Bessy pour le bicentenaire de la Révolution française. De 1977 à 1998, il anime, dans un château du Var, le studio Miraval où l’élite des musiciens pop – Pink Floyd, The Cure, Téléphone, Indochine et Sting, entre autres – se presse pour enregistrer. Quelque peu oublié en France mais toujours célèbre à l’étranger, Jacques Loussier meurt à Blois le 5 mars 2019.

— Pierre BRETON