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MARITAIN JACQUES (1882-1973)

Élevé dans le protestantisme libéral, petit-fils de Jules Favre, Jacques Maritain, né à Paris, aborde le siècle comme « une espèce de romantique de la justice ». Lorsqu'il rencontre Raïssa Oumançoff, juive d'origine russe, qui prépare comme lui une licence de sciences naturelles et qu'il épousera en 1904, il trouve une compagne d'inquiétude. Il semble, en effet, que la vieille Sorbonne s'emploie à renvoyer à l'absurde ceux qui se déclarent prêts à « mourir par un libre refus s'il était impossible de vivre selon la vérité », ainsi que le note Raïssa Maritain dans Les Grandes Amitiés.

De l'autre côté de la rue Saint-Jacques, il y a certes une autre vénérable institution : le Collège de France où officie Henri Bergson ; mais « une montagne de préjugés et de méfiance » s'interpose. L'amitié de Charles Péguy, qui n'est pas un fervent de la Sorbonne, donnera à Jacques et Raïssa Maritain de la franchir. Et là, chaque vendredi à dix-sept heures, dans la salle 8, ils découvrent essentiellement « qu'il est possible de trouver la vérité ». Si la voie demeure floue (Maritain le relèvera dans La Philosophie bergsonienne : études critiques, 1914), cet enseignement témoigne d'une ouverture au domaine spirituel et replace l'homme dans un cycle vital. Toutefois, De Bergson à Thomas d'Aquin (titre d'un ouvrage paru en 1944) le chemin ne semble pas tracé. Il le semble d'autant moins que la lecture de La Femme pauvre de Léon Bloy et la fréquentation de ce « pèlerin de l'absolu » les rapprochent d'une conversion dont la philosophie pourrait faire les frais. De plus, en ce début du siècle, la pensée catholique, déconcertée par le procès de compétence que lui font tant le rationalisme que la critique historique s'appliquant à ses sources, oscille entre raidissement et modernisme, entre intégrisme et libéralisme, et n'engage guère à ajouter à un dévergondage d'idées. Lorsque Jacques et Raïssa Maritain reçoivent le baptême en 1906, Léon Bloy, leur parrain, tiendra que « le miracle est accompli » — et que peut-être la foi est en voie de répudier l'intelligence.

C'est alors que ceux qui venaient « de chez Bloy » sont orientés par un dominicain, le père Clérissac, qui « admirait passionnément Maurras », vers l'étude de Thomas d'Aquin. Pour le jeune agrégé — qui se situera toujours hors des cadres de l'université française, préférant le statut de professeur libre à l'Institut catholique de Paris puis au Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto, enfin à l'université de Princeton, après avoir occupé le poste d'ambassadeur de France près le Saint-Siège de 1945 à 1948 —, cette étude ranime la vocation du philosophe : il y décèle les vertus de classification méthodique, de discernement des frontières épistémologiques qui correspondent excellemment à son tempérament de logicien épris de mise en ordre. Le contexte théologique du thomisme ne va pas sans poser la question de l'existence même d'une philosophie chrétienne (De la philosophie chrétienne, 1933) vécue par un chrétien philosophe, spirituellement dirigé. Mais Maritain « s'est persuadé de plus en plus [...] que le temps est venu pour elle [la philosophie de saint Thomas] de prendre sa forme propre, son organisation interne et son développement autonome en tant même que philosophie ». Les ambiguïtés ne sont pas toujours levées : ainsi « l'erreur d'accepter sans examen un élément d'ordre temporel », qui devait aboutir à la crise de 1926 marquée par la condamnation de l'Action française, mais aussi, par-delà, à l'affirmation de l'Humanisme intégral (1936), dont Primauté du spirituel (1927) avait donné une première expression.

C'était là[...]

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