MARSEILLE JACQUES (1945-2010)
L' historien Jacques Marseille, né le 15 octobre 1945 et décédé le 4 mars 2010, aura traversé les milieux sociaux et les idéologies au cours d'une existence placée sous le signe d'une ascension sociale continue. Titulaire, de 1989 à sa retraite en 2009, de la prestigieuse chaire d'histoire économique et sociale de la Sorbonne naguère occupée par Marc Bloch, il était issu d'une famille d'employés des chemins de fer. Produit de l'enseignement des jésuites au petit séminaire à Abbeville, puis diplômé de la faculté catholique de Lille, il rallie bientôt le Parti communiste après avoir été, expliquera-t-il plus tard, « marxisé par les curés ». Cet ancrage idéologique est redoublé par ses orientations scientifiques. Initialement tenté par l'histoire médiévale sous l'influence du chanoine Henri Platelle à Lille, Jacques Marseille, reçu premier à l'agrégation d'histoire en 1969, se décide finalement pour une thèse d'histoire contemporaine. Il suit son directeur, Jean Bouvier, l'un des grands historiens économiques de sa génération, de l'université de Lille à celle de Paris-VIII-Vincennes qui vient d'être créée. Son doctorat, obtenu en 1984 et bientôt publié sous le titre Empire colonial et capitalisme français : histoire d'un divorce (Albin Michel), lui vaut une renommée savante immédiate et durable. Ses conclusions mettent à mal l'idée que l'Empire colonial ait eu des retombées financières favorables pour la France : après 1930 en particulier, il aurait surtout entravé la modernisation de son appareil de production. Outil de prédilection du marxisme comme de l'histoire quantitative de l'époque, l'exploration statistique des comptes du commerce extérieur et des sociétés coloniales avait en quelque sorte débouché sur un résultat contraire aux propres postulats de l'auteur, qui pensait mesurer les fruits récoltés par la métropole grâce à l'exploitation des colonies.
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure cette remise en question aura contribué au tournant idéologique que prend l'historien au cours des années 1980. En tout état de cause, c'est une fois l'essentiel de sa carrière universitaire stabilisée que Jacques Marseille, jeune professeur de quarante-cinq ans en Sorbonne, se rallie aux thèses économiques libérales qui sont alors en vogue. Il en demeurera jusqu'au bout un partisan résolu : s'imposant progressivement comme une figure médiatique, il devient dans les dernières années de sa vie la voix, le visage et la plume de la dénonciation des rentes de situation, du corporatisme syndical, des hypocrisies du système éducatif et des injustices fiscales. La rupture n'est pas aussi absolue qu'il y paraît, justifiera-t-il parfois, en considérant qu'il n'a fait que transposer aux comptes de la nation la leçon reçue de ses maîtres : faire de l'investigation statistique l'arme du combat contre les idées reçues. Et surtout l'adversaire reste le même : la social-démocratie, accusée d'abord par le jeune communiste de tromper la classe ouvrière, puis par le libéral d'empêcher l'avènement d'une politique d'équité fondée sur le mérite et la reconnaissance du travail. C'est à ce titre que Jacques Marseille sera un ardent défenseur des droits des auteurs à rémunération, en tant que président du Centre français d'exploitation du droit de copie, de 1999 à 2002, et membre du conseil d'administration de la Société civile des auteurs multimédia, de 2001 à 2005.
L'exceptionnalité de Jacques Marseille résulte d'une double conjonction. Tout d'abord, l'historien aura placé sa production quasi industrielle au service de son talent pour la vulgarisation du savoir, que ce soit sous la forme de l'enseignement, de la[...]
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Écrit par
- Paul-André ROSENTAL : professeur des Universités, Sciences Po, Paris
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