MONORY JACQUES (1924-2018)
Devant le monde contemporain, Jacques Monory, né à Paris le 25 juin 1924, a décidé d'adopter, en tant que peintre, l'attitude d'un rêveur éveillé. Sa peinture saisit les images de la grande ville, Paris ou New York, et les plonge dans un espace chromatique si particulier que les portes, les fenêtres, les couloirs, les ascenseurs, les barrières, les routes parlent d'abord de son aventure individuelle dans le monde, des femmes qu'il a aimées, des voyages qu'il fait en Arizona ou ailleurs, des peurs qu'il a subies ou de ses nostalgies. Pour faire coïncider le monde extérieur avec sa vision, et avec elle seule, celui qui, pendant plusieurs années, travailla avec l’éditeur d’art Robert Delpire prend lui-même les photos qui serviront à la composition de ses tableaux. Le fond monochrome bleu dans lequel il les a fait baigner depuis le début des années 1960 jusqu'en 1978 exigeait un dosage particulier d'ombres et de lumières, des contrastes forts. Ce bleu nocturne, ou crépusculaire, investissait toutes choses et les maintenait dans l'espace d'une même pensée, d'un même rêve autobiographique. Monory peignait les chambres où l'on attend, les rues où l'on cherche quelqu'un, ou la fuite d'un homme à travers les rues (série des Meurtres, 1968 ; des Premiers Numéros du catalogue mondial des images incurables, 1974). Ainsi s'est-il constitué un univers romanesque en images, qu'il a prolongé par des livres (Document bleu, 1970 ; Diamondback, 1979 et, en collaboration avec Daniel Pommereulle : Les bords de la mortne vont pas assez vite, 1984).
Ce roman pictural, qui tient du journal intime et du « discours sur le peu de réalité », se liait au temps vécu, et non pas seulement à l'espace des choses représentées. Mais Monory l'a fait sortir de la perspective autobiographique en 1978 en substituant à la monochromie bleue le choix des trois couleurs fondamentales : le bleu, le jaune et le rouge (violacé), et en élargissant du même coup ses thèmes à l'histoire contemporaine et à l'univers : ce sont les séries Technicolor (1978), Ciels, nébuleuses et galaxies (1978-1980), Toxique (1984) ; Monory avait déjà abordé l'histoire à travers la guerre du Vietnam dans la série Jungle de velours, exposée au musée d'Art moderne de la Ville de Paris en 1971, et en participant à l'exposition organisée au Centre Georges-Pompidou : Guillotine et peinture, Topino-Lebrun et ses amis (1977). De tous les peintres contemporains français, il est sans doute celui qui a renouvelé le plus souvent ses thèmes et ses sujets en faisant déboucher son autobiographie rêvée sur le monde et la société actuels. Son choix final des trois couleurs fondamentales, qu'il a rendues le plus électriques possible, lui a permis d'en révéler le caractère artificiel, la violence grinçante.
Pour Monory, en effet, la société contemporaine est une ennemie dont il faut contourner les obstacles et les interdits, parce qu'elle est dangereuse, sinon meurtrière, pour tous les individus qui recherchent la liberté. Dans les tableaux qu'il a consacrés au meurtre, au suicide et à la folie, en se nourrissant de l’imagerie du film noir, il s'est souvent identifié à l'assassin, ou à la victime, et dans l'une de ses toiles les plus célèbres : Monet est mort, il tire sur un objet d'art au milieu des Nymphéas. Ce qui rend ses tableaux bouleversants, c'est que malgré la distance et la froideur apparentes du traitement pictural, on devine qu'il cherche à y conjurer la mort ; il la voit cachée derrière toutes choses, à tous les coins de rue. Peintre indépendant, Monory s'est distingué dès 1962-1963 de l'esprit du Pop Art américain en refusant de se borner à l'illustration et à la dénonciation de la société de consommation, de la publicité, etc., et en mettant[...]
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Écrit par
- Alain JOUFFROY : écrivain
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
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