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RANCIÈRE JACQUES (1940- )

Au fil de plus de quarante années de production intellectuelle, Jacques Rancière, né en 1940, élève de Louis Althusser et professeur de philosophie à l'université de Paris-VIII, a apporté une contribution originale à l'analyse des concepts politiques et esthétiques dans la philosophie de langue française. Sa contribution n'est pas de nature systématique mais relève avant tout d'une déconstruction des concepts traditionnels (pouvoir, souveraineté, égalité, liberté, etc.). Pour Jacques Rancière, la philosophie « n'a pas de divisions qui s'emprunteraient soit à son concept propre soit aux domaines où elle porte sa division ou sa législation. Elle a des objets singuliers, des nœuds de pensée nés de telle rencontre avec la politique, l'art, la science ou telle autre activité de pensée, sous le signe d'un paradoxe, d'un conflit, d'une aporie spécifiques ». L'option est critique et kantienne. La visée est, comme chez Kant et les philosophes des Lumières, celle de l'émancipation.

À travers cette démarche, Jacques Rancière a été à l'origine de l'ouverture de la réflexion aux discours des exclus du discours, de ceux qui sont condamnés au silence ou demeurent dans les marges : prolétaires, pauvres, femmes, minorités. En ce sens, il est un des rares philosophes français à s'être retrouvé au cœur de l'entreprise des cultural studies, dans ce qu'elles ont eu et conservent de profondément perturbant et novateur pour les approches en sciences humaines.

La parole des exclus

Avec La Nuit des prolétaires (1981), Le Philosophe et ses pauvres (1983), Le Maître ignorant (1987), il est question avant tout de l'émancipation. Rancière s'efforce de retrouver dans les discours des ouvriers du xixe siècle ou dans l'étrange délire pédagogique du maître ignorant Joseph Jacotot les sens de termes comme exploitation, maîtrise, travail, fatigue, économie, association, libération, connaissance, dans leur relation aux identités qui s'y formulent. Les prolétaires et les pauvres s'efforcent de prendre la parole et celle-ci n'est ni celle de leurs maîtres ni celle des maîtres académiques. Le Philosophe et ses pauvres conceptualise de son côté l'arrière-plan polémique de l'entreprise de restitution des paroles en étudiant chez Platon, Marx, Sartre et Bourdieu la relation entre pensée et hiérarchie sociale, entre position du philosophe et assignation de place à ses pauvres, entre conception philosophique de l'émancipation et interdiction de la parole.

Un second groupe d'ouvrages déconstruit et reconstruit le concept de politique en s'efforçant de penser à la fois « la hiérarchie des valeurs et l'égalité du mélange », l'un et le multiple dans la communauté démocratique des égaux.

Aux bords du politique (1990) traite de l'organisation de la communauté politique sous la double perspective de la recherche du juste et du traitement de la division entre riches et pauvres. La démocratie est appréhendée dans sa nature dynamique de processus de réarrangement de la communauté pour sans cesse défaire les ordres supposés posés comme naturels entre les hommes. La polémique égalitaire commande la composition et recomposition de la communauté : la loi démocratique proclame l'égalité, et la politique consiste à sans cesse reprendre sa réalisation concrète en la prenant au mot. En conséquence, l'espace démocratique apparaît comme espace de division et de lutte au sein de l'affirmation de la communauté.

Les Noms de l'histoire, essai de poétique du savoir (1992), sous l'apparence d'un essai sur les manières dont on écrit l'histoire, aborde la question des poétiques par lesquelles un discours se soustrait à d'autres, que ce soit pour se constituer comme littérature, pour se revendiquer comme science,[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Rouen, membre de l'Institut universitaire de France

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