RÉDA JACQUES (1929-2024)
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Né le 24 janvier 1929, à Lunéville (en Meurthe-et-Moselle), l’écrivain français Jacques Réda fut l'auteur d'une œuvre attachante, abondante, qui ne prétendait en rien renouveler les formes du poème ou de la prose, tant elle était insoucieuse des modes ou des avant-gardes. Elle affichait même volontiers un certain goût pour le classicisme, au moins sur le plan formel. Et pourtant, elle se caractérisait par une voix, un regard, un style fort singuliers : élégiaque sans apitoiement, lyrique sans emphase, métaphysique sans gravité, urbaine sans modernisme, bucolique sans mièvrerie ni écologisme militant, humoristique sans superficialité, l'écriture se fait parole, parfois « épître » ou « discours », pour dire l'exubérante et intermittente beauté du monde et les angoisses de la condition humaine, oscillant ainsi entre sentiment du désastre et de la merveille.
Un passant parmi d'autres
Un des premiers recueils importants de Jacques Réda (La Tourne, 1975) s'ouvre ainsi : « Je commence, je commence toujours, mais c'est aussi toujours une suite. » L'écriture va donc épouser le mouvement même de la vie, ses humeurs tantôt désabusées, tantôt enthousiastes afin de conjurer le désespoir d'une conscience tragique du temps, entre la nostalgie d'une origine « impalpable » et la certitude d'une inéluctable « cuisson des carottes » dont témoigne La Course (1999). Entre ces deux pôles, s'ouvre toute la profusion du monde et de l'espace que la circulation lyrique explore, inventorie, décrit inlassablement. « Le désespoir n'existe pas pour un homme qui marche. » En dépit des variations chronologiques, thématiques ou génériques, cette œuvre trouve donc son unité dans l'idée d'une mobilité infatigable et toujours curieuse. « Homme de lettres » n'est pour Réda « ni une spécialité ni une profession » (il a assuré la direction de LaNouvelle Revue française de 1987 à 1995), c'est une « qualité, quelque chose qui tient à l'homme même », selon une formule de Larbaud.
Outre quelques recueils publiés entre 1952 et 1955 et qu'il a préféré ne pas reprendre, l'œuvre poétique de Jacques Réda commence véritablement en 1968 avec Amen et se poursuit avec Récitatif (1970), La Tourne (1975), les poèmes en prose des Ruines de Paris (1977), Hors les murs (1982), Retour au calme (1989), Lettre sur l'univers et autres discours en vers français (1991), L'incorrigible (1995), La Course (1999), L'Adoption du système métrique (2004). À ces recueils s'ajoutent les textes réunis dans Celle qui vient à pas légers (1985) pour définir sa conception de la création poétique et des questions de métrique (dont, déplore-t-il, « tout le monde se fout »). Le sous-titre de L'Incorrigible et de La Course, « Poésies itinérantes et familières », caractérise une poésie fondée sur la description de paysages urbains, suburbains ou agrestes, en province ou à l'étranger, avec une prédilection pour les lieux déshérités soudain illuminés.
On pourrait parler de quête si ce mot n'avait pris avec le surréalisme un sens quelque peu mystique, voire volontariste, fort éloigné de la démarche de Réda. Il s'agit plutôt ici d'une flânerie méditative et d'une disponibilité à l'inattendu, sorte de saisissement plus proche de la sidération et de la stupeur que de l'extase ou de la révélation. Dans le poème, s'opère une dépossession heureuse qui est paradoxalement présence à soi et accord fugace avec le monde. Si le poète a fait sa résidence dans le mouvement, c'est pour laisser ouvert ce souhait : « Que ce soit l'Extérieur enfin qui parle, dans le creux déserté que je suis. » Le lyrisme, méditatif, n'est donc pas centré sur le moi et tend même à une certaine forme de dépersonnalisation. Le poème sert à « frayer un chemin dans l'épaisseur où[...]
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Écrit par
- Pierre LOUBIER : maître de conférences en littérature française à l'université Paris-X Nanterre
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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