RÉDA JACQUES (1929-2024)
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Un art de la digression
L'œuvre en prose prolonge le travail poétique. Intégrant d'ailleurs des poèmes, elle développe des thèmes identiques : souvenirs, récits de voyages, descriptions ou portraits. Dans L'Herbe des talus (1984), puis Châteaux des courants d'air (1986), Recommandations aux promeneurs (1988), Le Sens de la marche (1990), La Liberté des rues (1997) et Le Citadin (1998), le regard est attentif aux lieux et aux personnes. Réda s'y fait à la fois géographe et ethnographe, mais sans goût pour le pittoresque ou l'érudition. Il s'inscrit en cela dans la tradition des « Piétons de Paris » que furent Apollinaire, Fargue, Follain ou Calet. Le substantif est précis, l'adjectif malicieux, le verbe imagé. La phrase, méticuleuse, volontiers digressive, soucieuse d'euphonie, conserve toutefois les inflexions du parlé.
Les textes s'organisent selon des séries qui leur servent de fil directeur : remontée d'un fleuve vers sa source (Un voyage aux sources de la Seine, 1987), tracé d'une ligne de bus, inventaire des gares, des statues, repérage du méridien de Paris (Le Méridien de Paris, 1997), cycle des saisons. Écriture de la relation et de la digression, sensible aux aspects divers du quotidien, la prose épouse les courbes, les hasards et les intensités du voyage et explore un « rapport mutuel d'intelligence entre l'homme et le site ». Religieux en plein air, « polythéiste, animiste plutôt », Réda aime croire à une « divinité sauvage des lieux ». Façon de renouer avec l'élémentaire et l'« arrière-pays » qui seraient le vrai territoire, la vraie patrie. Le tropisme des déplacements le mène en effet le plus souvent du côté de l'est de la France, lieu des origines et de la source. C'est pourquoi les souvenirs d'enfance, présents dès certains poèmes de La Tourne et récits de L'Herbe des talus, sont développés dans un diptyque autobiographique : Aller aux mirabelles, 1991 (sur l'enfance à Lunéville), et Aller à Elisabethville, 1993 (sur la jeunesse au bord du fleuve durant la guerre), qui, sans nostalgie larmoyante, évoquent les saveurs fondatrices du jeune âge. Jacques Réda s'est également tourné vers le roman (Aller au diable, 2002 ; Nouvelles Aventures de Pelby, 2003 ; L'Affaire du « Ramsès III », 2004) et le récit (Accidents de la circulation, 2001).
Enfin, que ce soit en vers (les quatre volumes intitulés chacun Livre des reconnaissances, 1985, 1992, 2016 et 2021 ; Leçons de l’arbre et du vent, 2023), en prose (Ferveur de Borges, 1988 ; Le bitume est exquis [sur Charles Albert Cingria, dont l'influence, tant stylistique que thématique, est affirmée avec chaleur], 1984 ; La Sauvette, 1995), voire dans les essais sur le jazz réunis dans L'Improviste, une lecture du jazz (1990), dans Autobiographie du jazz (2002) et Le Chant du possible. Écrire le jazz (2021), ou sur les timbres de Donald Evans (Affranchissons-nous, 1990), Réda, lecteur fervent, exprime de façon oblique les éléments majeurs de sa propre poétique, faite de toutes ces influences : un mélange de rigueur et de liberté, de mélancolie, d'humour et de méditation sans excès métaphysiques.
Jacques Réda est mort à Hyères, dans le Var, le 30 septembre 2024.
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Écrit par
- Pierre LOUBIER : maître de conférences en littérature française à l'université Paris-X Nanterre
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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