RIVETTE JACQUES (1928-2016)
Des fondateurs de la nouvelle vague, Jacques Rivette est le premier à franchir le pas du professionnalisme en 1956, avec un court-métrage tourné non plus en 16 mm mais en 35 mm, Le Coup du berger. Il est aussi, avec Jean-Luc Godard, le plus évidemment « moderne ». C’est pourquoi, sans doute, il mettra le plus longtemps à s'imposer, malgré le succès de scandale bien involontaire de La Religieuse. Pourtant, sa réputation d'intransigeance ouvre sur des films fondés sur le plaisir de tourner, un jeu permanent avec l’espace et le temps, avec acteurs et actrices, avec des intrigues mises en abyme ou s’emboîtant à la façon des matriochkas. Les films de Jacques Rivette évoluent, sans qu’il soit toujours possible ou nécessaire de choisir entre le jeu d’enfant et une réflexion sur l'art et le destin.
Absolument moderne
Jacques Rivette est né à Rouen le 1er mars 1928. La rencontre simultanée, en 1946, du journal de tournage de La Belle et la Bête, de Jean Cocteau, et du film lui-même déclenche sa vocation. Après avoir réalisé à Rouen un premier court-métrage en 16 mm, Aux quatre coins, il s'installe à Paris en 1949, où il rencontre le groupe qui complote déjà pour « s'emparer du cinéma » et va donner naissance à la nouvelle vague. Quelques semaines plus tard, Maurice Schérer (Éric Rohmer) accueille ses premiers textes dans le Bulletin du Ciné-Club du Quartier latin, puis à La Gazette du cinéma. Rivette participe dès février 1953 à l'aventure des Cahiers du cinéma et il se montre un des plus actifs dans la radicalisation de la ligne de la revue. On a pu le qualifier de « père Joseph » ou de « Saint-Just » de la critique tant, selon sa propre expression, il « tranche dans le vif » entre « ce qui est du cinéma » et ce qui n'en est pas. Il réintroduit dans le vocabulaire critique la vieille locution théâtrale de mise en scène. Par ces mots, il désigne moins un style ou une écriture qu'une « organisation rigoureuse du temps et de l'espace », qui ne doit rien à l'intrigue mais tout au « jeu de l'acteur et du décor, du verbe et du visage, de la main et de l'objet ». Forme et « idée » à réinventer à chaque fois devant une réalité unique, elle est un secret à déchiffrer.
Dès la « Lettre sur Rossellini » qu’il publie dans les Cahiers du cinéma en mars 1955, « moderne » devient le maître mot de Rivette. À propos de Voyage en Italie, alors rejeté par la quasi-totalité de la critique, il évoque Manet, Degas, Stravinsky ou Picasso, et surtout Matisse. C’est encore au nom de cette modernité qu’il fomente un « complot » au sein de la revue, en écartant Éric Rohmer et ses proches. Sous sa direction (1963-1965), les Cahiers ouvrent leurs pages à Roland Barthes, Pierre Boulez, Claude Lévi-Strauss ou Bernard Dort, grand lecteur de Brecht.
Son premier long-métrage, Paris nous appartient (1958-1959), se situe de plain-pied avec cette modernité. Comme Godard, Rivette se confronte à la littéralité du cinéma. Là où le premier travaille sur le morcellement de la pellicule en photogrammes, Rivette affirme la théâtralité du cinéma, puisque celui-ci est un « art impur » qui emprunte au théâtre la parole, le déplacement des corps dans l’espace, la durée... Dans Paris nous appartient, un metteur en scène tente de monter le Périclès de Shakespeare tandis qu'une étudiante enquête sur un complot international (c’est le temps de la guerre froide). Peu importent la réalité du complot ou la dispersion de la troupe. Plus qu'un univers réellement obsessionnel, le complot est un dispositif global inspiré d’Histoire des Treize de Balzac que l’on retrouvera de façon plus ou moins explicite dans Le Pont du Nord (1981), La Bande des quatre (1988), Secret défense (1997), ou encore Ne touchez pas la hache (2007). Structure remarquablement[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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