RIVIÈRE JACQUES (1886-1925)
Si, à propos de Jacques Rivière, on a bien raison d'évoquer l'importance de son rôle à la tête de La Nouvelle Revue française, sa compréhension profonde des écrivains ses contemporains, ses conseils lucides aux jeunes auteurs, la part qu'il prit à une nouvelle orientation de la critique, on ne doit pas négliger pour autant l'œuvre écrite à travers laquelle se livre un itinéraire personnel significatif.
Né à Bordeaux, Jacques Rivière vient préparer à Paris le concours d'entrée à l'École normale supérieure ; c'est alors qu'il se lie avec Alain-Fournier (dont il épousera la sœur Isabelle) d'une amitié profonde et durable ; les lettres qu'ils échangeront (Correspondance de Jacques Rivière et d'Alain-Fournier [1905-1914], 1926) demeurent un document émouvant et fascinant sur deux jeunes esprits de grande envergure qui mettent en commun leurs découvertes en ce début du xxe siècle.
Liciencié ès lettres, professeur au collège Stanislas, Jacques Rivière continue ses explorations, passionné de musique, d'arts plastiques et de poésie autant que de philosophie, se refusant à dissocier la joie du jeu de celle de la connaissance. « Il est vertigineux que les gens qui s'occupent de philosophie comprennent si mal quel jeu admirablement divers, voluptueux, libre et vain, elle est », écrit-il à Claudel en 1908. « Je voudrais montrer comment tous les grands systèmes ont été conçus par leur auteur d'une manière uniquement artistique. On pourrait dessiner la métaphysique de Platon, de Descartes, de Malebranche, de Spinoza. » Il s'adonne en même temps à la critique ; il réunit ses principaux articles, en 1912, dans Études. Étonnants par la vigueur de leur pointe et la finesse de leur touche, ces textes sont consacrés à des écrivains — Baudelaire, Claudel et Gide —, à des musiciens — Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgski, Debussy — et à des peintres — Ingres, Cézanne, Gauguin. De Nouvelles Études seront réunies en un volume posthume, en 1947.
Devenu très ami de Claudel et de Gide (sa Correspondance avec Paul Claudel, publiée en 1926, est elle aussi un admirable document), Rivière subit contradictoirement ce qu'on devrait nommer leur attrait plus que leur influence. La longue crise spirituelle qu'il connaît de 1906 à 1913 et dont l'aboutissement se laisse pressentir par deux importants essais de 1912, De la sincérité envers soi-même et De la foi, semble s'achever par la victoire de Claudel (qui exhortait son jeune ami à « chevaucher botte à botte avec les champions des derniers jours ») ; le jour de Noël 1913, Rivière revient au catholicisme pratiquant. Mais la marque de Gide reste indélébile dans son besoin d'équité intellectuelle, de remise en question toujours bienvenue : une curiosité et une inquiétude dans lesquelles il se refuse à ne pas reconnaître des vertus et, à son usage personnel, des exigences foncières.
De 1911 à 1914, Rivière assure le secrétariat de rédaction de La Nouvelle Revue française. Fait prisonnier en 1914, dès les premiers combats, Rivière va connaître les ruminations et les loisirs d'une longue solitude. On peut passer rapidement sur L'Allemand (1918), le livre d'observation qu'il en rapportera et qui n'est sans doute pas le meilleur de son œuvre. Restent surtout les nombreux et volumineux carnets de captivité où il consigne les démarches de sa vie intérieure et où il amasse aussi des matériaux pour le projet d'une nouvelle apologétique chrétienne. Deux séries de fragments, dont la valeur spirituelle est indéniable, en seront publiés par sa veuve : A la trace de Dieu (1925, avec une importante préface de Claudel) et Chasse à l'orgueil (1943). Mais il faudra attendre 1974 pour disposer d'une édition complète.
Revenu de captivité à trente-deux ans,[...]
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Écrit par
- Jean MASSIN : écrivain
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