ROUBAUD JACQUES (1932-2024)
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L’écrivain et poète français Jacques Roubaud a souvent été présenté en sa double qualité de poète et de mathématicien. Pour exact qu'il fût, un tel signalement liminaire risque de susciter bien des malentendus. Le relief donné à une conjonction assez rare renvoie peut-être à l'idée reçue d'une opposition, voire d'une incompatibilité de nature entre deux domaines dont la confusion n'engendrerait, du côté de la poésie, que des exercices formels. La publication en 1986 de Quelque Chose noir en mémoire de la femme aimée, Alix Cléo Roubaud, comme, du côté de la prose, l'incroyable autobiographie que constituent les six branches du Grand Incendie de Londres (1989-2008) devaient conduire à abandonner un jugement bien trop court pour appréhender le sens d'une vie et d'une œuvre indissolublement unies dans ce que l'auteur lui-même a nommé le « projet », projet de poésie qui, depuis la parution d'ε (1967), n'a cessé de se ramifier. En 2008, l’écrivain a obtenu le grand prix de littérature Paul-Morand de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Il a également reçu, en 2021, le prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre, ainsi que le grand prix de poésie de l’Académie française pour l’intégralité de sa création poétique, en 2023.
Le grand chant
Né le 5 décembre 1932 à Caluire-et-Cuire (Rhône), Jacques Roubaud fut à la fois poète et mathématicien, et également théoricien de la poésie et singulièrement du vers (La Vieillesse d'Alexandre, 1978), médiéviste (Les Troubadours : anthologie bilingue, 1980 ; La Fleur inverse : essai sur l’art formel des troubadours, 1986 ; mais aussi Graal théâtre, 1977, avec Florence Delay, et toute une série d'ouvrages, y compris à destination des enfants, consacrés au cycle des légendes arthuriennes), critique, traducteur (de l'anglais, de l'américain, de l'occitan, voire du japonais, ou encore, avec Florence Delay derechef, de chants et de poèmes amérindiens, dans Partition rouge. Poèmes et chants des Indiens d'Amérique du Nord, 1988), conteur, romancier (La Belle Hortense, 1985 ; L'Enlèvement d'Hortense, 1987 ; L'Exil d'Hortense, 1990).
À quoi il faudrait ajouter le rôle de premier plan que Jacques Roubaud a joué dans des mouvements comme l'Oulipo où le fait entrer Raymond Queneau (voir les nombreuses publications de La Bibliothèque oulipienne), ou des revues comme Change, Action poétique ou Po&sie. Ce que l'éclectisme apparent, doublé d'un savoir encyclopédique vrai, ne doit cependant pas dissimuler, c'est l'unité d'une démarche qui a la poésie pour principe et pour fin. C'est en effet à partir de la poésie en tant qu'elle est essentiellement canso, grand chant, ou chant d'amour, que s'éclairent presque tous les aspects de l'œuvre.
Si l'accent semble souvent mis sur les recherches formelles dans la réflexion que Jacques Roubaud a menée sur son œuvre et sur la poésie en général, il reste que cette dernière ne se réduisit jamais à ses yeux à la mise en œuvre d'une poétique. Elle est bien plutôt comme les sirventès dans la poésie des troubadours : un « genre poétique dans la mouvance du grand chant, qu'il sert et qui traite de sujets autres que l'amour (morale, politique, théorie du chant) dans le but de montrer la supériorité de l'amour sur toutes les activités humaines » (Introduction aux Troubadours). Dès lors, si le travail théorique révèle des procédés ou des règles, c'est moins pour en faire des « canons » à respecter que des instruments ou des organes d'un perpétuel renouveau.
Ainsi en va-t-il singulièrement du sonnet, forme fixe léguée par la tradition, que Jacques Roubaud, à côté de bien d'autres, n'a cessé d'explorer depuis [...]
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Écrit par
- Robert DAVREU : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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