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ROUBAUD JACQUES (1932- )

Il n'est guère de présentation de Jacques Roubaud, né en 1932 à Caluire, qui ne commence par mettre en avant sa double qualité de poète et de mathématicien. Pour exact qu'il soit, un tel signalement liminaire risque de susciter bien des malentendus. Le relief donné à une conjonction assez rare renvoie peut-être à l'idée reçue d'une opposition, voire d'une incompatibilité de nature entre deux domaines dont la confusion n'engendrerait, du côté de la poésie, que des exercices formels. La publication en 1986 de Quelque Chose noir en mémoire de la femme aimée, Alix Cléo Roubaud, comme, du côté de la prose, l'incroyable autobiographie que constituent les six branches du Grand Incendie de Londres (1989-2008) devraient conduire à abandonner un jugement bien trop court pour appréhender le sens d'une vie et d'une œuvre indissolublement unies dans ce que l'auteur lui-même a nommé le « projet », projet de poésie qui, depuis la parution d'ε (1967), n'a cessé de se ramifier. En 2008, il a obtenu le grand prix de littérature Paul-Morand de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.

Le grand chant

Poète et mathématicien, Jacques Roubaud est également théoricien de la poésie et singulièrement du vers (La Vieillesse d'Alexandre, 1978), médiéviste (Les Troubadours, 1980, anthologie bilingue, mais aussi Graal théâtre, 1977, avec Florence Delay, et toute une série d'ouvrages, y compris à destination des enfants, consacrés au cycle des légendes arthuriennes), critique, traducteur (de l'anglais, de l'américain, de l'occitan, voire du japonais, ou encore, avec Florence Delay derechef, de chants et de poèmes des Indiens d'Amérique du Nord), conteur, romancier (La Belle Hortense, 1985, L'Enlèvement d'Hortense, 1987, et L'Exil d'Hortense, 1990). À quoi il faudrait ajouter le rôle de premier plan qu'il a joué dans des mouvements comme l'Oulipo où le fait entrer Raymond Queneau (voir les nombreuses publications dans les trois volumes de La Bibliothèque oulipienne, chez Seghers), ou des revues comme Change, Action poétique ou Po&sie. Ce que l'éclectisme apparent, doublé d'un savoir encyclopédique vrai, ne doit cependant pas dissimuler, c'est l'unité d'une démarche qui a la poésie pour principe et pour fin. C'est en effet à partir de la poésie en tant qu'elle est essentiellement Canso, grand chant, ou chant d'amour, que s'éclairent presque tous les aspects de l'œuvre.

Si l'accent semble souvent mis sur les recherches formelles dans la réflexion que Jacques Roubaud mène sur son œuvre et sur la poésie en général, il reste que cette dernière ne se réduit jamais à ses yeux à la mise en œuvre d'une poétique. Elle est bien plutôt comme les sirventès dans la poésie des troubadours : un « genre poétique dans la mouvance du grand chant, qu'il sert et qui traite de sujets autres que l'amour (morale, politique, théorie du chant) dans le but de montrer la supériorité de l'amour sur toutes les activités humaines » (Introduction aux Troubadours). Dès lors, si le travail théorique révèle des procédés ou des règles, ce n'est pas pour en faire des « canons » à respecter, mais les instruments ou les organes d'un perpétuel renouveau.

Ainsi en va-t-il singulièrement du sonnet, forme fixe léguée par la tradition, que Jacques Roubaud, à côté de bien d'autres, n'a cessé d'explorer depuis ε, à la fois théoriquement, pratiquement et poétiquement. « J'essayai, nous dit-il, de me confronter à la tradition dans une disposition intérieure à la fois respectueuse, exaltée et ironique, furieuse (‘‘hommage et profanation’’, dit Octavio Paz) »[Mezura, n0 9, Cahiers de poétique comparée, Publications orientalistes de France].[...]

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Écrit par

  • : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur

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