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ROUBAUD JACQUES (1932- )

Dialectique de la forme

À cet égard, le choix du sonnet, s'il est certes loin d'être exclusif (comme en témoigne la publication en 1998 de l'étude intitulée La Ballade et le Chant royal), n'est assurément pas un hasard. Celui-ci constitue en effet, dans notre tradition, la forme poétique particulière qui ouvre sans doute le mieux au mystère de la forme en général. Avec lui, nous nous trouvons placés devant l'énigme d'une identité d'autant plus consistante qu'elle n'apparaît saisissable qu'à travers le jeu indéfiniment varié de ses avatars et métamorphoses : mystère donc d'une identité sans véritable constante et, partant, d'un universel sans concept ; mystère du singulier universel qu'est toute création, en tant que distincte de la reproduction. C'est bien parce qu'il en est ainsi que le sonnet s'avère la forme privilégiée de la poésie dite métaphysique et de la méditation.

Mais ce n'est pas un hasard, non plus, si, à l'Extrême-Orient de notre monde, dans la culture japonaise où tradition et modernité se sont autrement mêlées, Jacques Roubaud choisit des formes poétiques comme celles des tanka, poèmes de trente et une syllabes en cinq vers, ou encore du haïku, auxquelles il emprunte de manière explicite (cf. Mono no Aware, mais aussi l'œuvre collective Renga, avec Octavio Paz, Charles Tomlinson et Edoardo Sanguineti, et jusqu'au titre de Trente et Un au cube). Il y a là un jeu complexe, où l'humour des rencontres a sa part, et dans lequel, confrontées à des formes étrangères, les formes de notre tradition libèrent des possibilités de chant jusque-là inaperçues.

Ce qui apparaît ainsi, c'est l'insuffisance de l'opposition forme-matière. Loin d'être une structure rigide, la forme est toujours déjà beaucoup plus qu'elle-même : puissance génératrice de figures, à l'œuvre dans toute configuration, dans une dialectique de la règle et du jeu, de l'apprendre et du créer, où chaque terme est la condition de possibilité de l'autre. Si, pour ce qui est de la poésie, il y a tension entre la contrainte formelle et le chant, c'est donc au sein d'une unité première où la forme comme limite fait jaillir et resplendir le chant ; et où, réciproquement et simultanément, le chant libère la forme, la transforme et la transgresse, en un processus de création continuée identique en définitive à celui par lequel la langue elle-même, en de multiples langues, ne cesse de se perpétuer.

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Écrit par

  • : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur

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