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TATI JACQUES (1908-1982)

Qui aurait pu croire, après le succès de Jour de fête, que Jacques Tati tournerait seulement six films en trente ans ? Le plus grand créateur comique du cinéma français a rejoint, peu à peu, la destinée surprenante des cinéastes maudits : Dreyer, Welles, Bresson. Il n'avait pourtant pas d'autre ambition, dit-il, que « d'apporter un petit sourire ». Comment expliquer que le public ne l'ait pas toujours suivi ? Si le rire est révélateur d'une époque, d'une société, pourquoi celui de Tati a-t-il eu de moins en moins d'écho ? Pourquoi Hulot n'est-il pas devenu le Charlot de nos temps modernes ? Aurions-nous perdu, vers la fin des années cinquante, l'aptitude à rire de nous-mêmes ?

Du succès au malentendu

Jacques Tatischeff est né le 9 octobre 1908 au Pecq, dans les Yvelines, près de Saint-Germain-en-Laye. Il a du sang slave dans les veines ; son grand-père russe était ambassadeur du tsar à Paris. Son père, quant à lui, était encadreur. Un discret hommage lui sera rendu dans Les Vacances de M. Hulot : Tati se donne un mal fou pour rectifier la position d'un tableau qui penche à droite, puis à gauche.

À vingt ans, il vend des cadres anciens dans le magasin de son père, près de la Madeleine. Sa véritable passion est alors le sport : le football, l'équitation, la boxe, le tennis et, surtout, le rugby. Il joua en première division au Racing-Club de France. C'est là qu'il connut l'économiste Alfred Sauvy. C'est là, raconte celui-ci, qu'il découvrit ses dons comiques, au retour des matches en province. « Dans l'équipe de rugby que je commandais, se présenta un dimanche un grand garçon, mince, un peu timide, me demandant à quelle place il jouerait. Coup d'œil, réponse : deuxième ligne ! »

« Le soir, au petit restaurant de la Butte, le nouvel avant se rendit à la cabine téléphonique ; aucune voix ne s'éleva, mais la lumière de la salle s'éteignit et, à travers le verre dépoli de la cabine, nous avons assisté au plus désopilant spectacle d'ombres chinoises qu'on puisse imaginer. Un grand artiste était né. »

Son premier triomphe, à la revue du Racing, l'encourage à se lancer dans le music-hall, en 1931. Pendant huit ans, il suit l'apprentissage qui a formé jadis Buster Keaton, Mac Sennett, Chaplin et les frères Marx. En 1936, Colette le découvrit sur la scène de l'A.B.C. Elle note : « Il a inventé d'être ensemble le joueur, la balle et la raquette ; le ballon et le gardien de but ; le boxeur et son adversaire ; la bicyclette et le cycliste. Les mains vides, il crée l'accessoire et le partenaire [...] En Jacques Tati, cheval et cavalier, tout Paris verra, vivante, la créature fabuleuse, le Centaure. »

Parallèlement, il écrit et interprète ses premiers courts métrages (Oscar champion de tennis, inachevé ; On demande une brute, sur un scénario d'Alfred Sauvy ; et surtout Soigne ton gauche, réalisé par René Clément). La drôle de guerre le conduit dans l'Indre, au petit village de Sainte-Sévère où il se réfugie en 1941. L'observation des habitants lui donne l'idée de Jour de fête. En 1947, L'École des facteurs est un brouillon de son premier long métrage, qu'il réalise l'été suivant. Jour de fête faillit ne jamais sortir (déjà, la malédiction...), car aucun distributeur ne voulait l'acheter. Il fallut improviser une projection dans une salle de Neuilly pour les décider. Le public avait beaucoup ri. Jour de fête fut un triomphe.

En 1953, Les Vacances de M. Hulot connut le même succès. Les vraies difficultés commencèrent avec Mon Oncle, tourné en studio avec des moyens techniques importants et qui laissa les critiques perplexes. On y trouva des longueurs. Dix ans plus tard, Play-time fut encore plus mal accueilli. On reprocha sévèrement les redites,[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

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