JALOUSIE
Sémantiquement et psychologiquement, la jalousie est inséparable du désir. Bossuet prête au mot le sens de « passion sans partage » lorsqu'il écrit : « Combien de Romains furent jaloux de la liberté. » C'est le « zèle extrême » qu'atteste, à l'origine, le provençal gelos, fréquent dans la poésie des troubadours, entre les années 1135 et 1150. L'influence du coq ou jal aurait, selon Grzywacz, déterminé la forme française.
Pour Joyce McDougal, la jalousie sous-entend l'existence d'un sentiment amoureux. Il semble cependant nécessaire d'inclure à la composante fondamentale une double disposition qui, dans son essence, n'offre rien de commun avec les élans du cœur. La volonté d'appropriation et l'esprit de concurrence viennent se greffer en somme sur une passion initialement vouée à combler les vœux de bonheur de deux êtres sous le charme d'un attrait réciproque. La Rochefoucauld l'a bien perçu, qui constate : « La jalousie est en quelque sorte juste et raisonnable puisqu'elle ne tend qu'à conserver un bien qui nous appartient ; au lieu que l'envie est une furieuse qui ne peut souffrir le bien des autres. » Et d'Alembert : « On est jaloux de ce qu'on possède et envieux de ce que possèdent les autres. »
Si l'angoisse rôde dans le sillage de la jalousie, n'est-ce pas pour la raison que toute appropriation suppose l'expropriation de l'autre et la menace d'être, par un revers de fortune, exclu à son tour de ses droits ? « L'amoureux jaloux de sa maîtresse, dit Daniel Lagache dans son étude sur La Jalousie amoureuse, envie les succès réels ou fictifs de son rival. »
La jalousie est ancrée dans la peur de perdre non le sujet aimé mais l'objet possédé, avec lequel il se confond. Ainsi oblitéré par un titre de propriété, le partenaire ne laisse pas de subir l'effet d'une agressivité qui, d'une part, le réduit à l'état d'une chose dont on dispose et, d'autre part, le transforme en enjeu d'une compétition où il s'agit d'être sans trêve sur pied de guerre pour défendre son bien.
A-t-on affaire ici à un sentiment inné ou à un phénomène culturel ? Ralph Linton tient pour la première hypothèse. Il en veut pour preuve que, aux îles Marquises, où règne la liberté sexuelle, les individus manifestent, en état d'ivresse, des réactions de jalousie. Mais n'est-ce pas là confondre licence sexuelle et sécurité affective, tout en sous-estimant de surcroît l'importance, en l'occurrence, de la vanité, de la volonté de puissance ? Si Othello succombe à l'emprise du monstre que Baudelaire décrit « tout gonflé de haine et de crachat », c'est qu'il se sent menacé dans son prestige, ridiculisé dans l'exercice de son pouvoir.
L'idéologie biologiste ne s'est pas privée d'établir une relation entre la jalousie et les manifestations agressives d'appropriation, telles qu'elles s'observent chez certains animaux. On sait, depuis le fascisme, ce qu'il faut penser des systèmes qui réduisent la spécificité humaine à une animalité socialisée et assimilent la communauté des hommes à une jungle où sévit la loi du plus fort.
D'autres, avec Otto Klineberg, estiment que la jalousie est d'origine culturelle. Pour eux, l'adultère ne secrète la jalousie que s'il menace la sécurité matérielle, la garantie affective ou le prestige. Freud s'est penché plus précisément sur la jalousie pathologique où, sans raisons objectives, le patient se sent abandonné et bafoué. Il la rattache au complexe d'Œdipe, soulignant ses liens avec les composantes paranoïdes et le souci de se défendre contre l'homosexualité. Le jaloux poursuit alors le partenaire aimé de sa haine. Il se comporte[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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