AGEE JAMES (1909-1955)
Comme Thomas Wolfe, avec qui il a tant d'affinités, James Agee est un enfant du Sud. Il est né en novembre 1909 à Knoxville, dans le Tennessee, petite ville ouvrière. Depuis deux siècles, depuis que leur ancêtre Mathieu Âgé ou Agee, un huguenot français des environs de Nantes, était venu, en 1690, au lendemain de la « Glorieuse Révolution » s'établir en Virginie, la famille Agee avait toujours vécu — pauvrement — dans les hameaux de la campagne alentour. Du côté maternel, c'était une famille originaire du Michigan, de stricte piété épiscopalienne, qui se considérait comme de la bourgeoisie et qui avait dans un premier temps mal accepté que la mère de James Agee se déclasse un peu en épousant un natif de ces collines où l'alcoolisme est atavique.
James Agee a six ans lorsque son père, ivre au volant, se tue. Plus de trente ans plus tard, il racontera le trauma que ce fut pour lui dans son roman autobiographique A Death in the Family (écrit à partir de 1948, ce livre, qui obtint le prix Pulitzer à sa publication posthume en 1957, amorcera la redécouverte de James Agee), mais c'est toute sa vie qui se passa sous le signe de ce père absent. La mère d'Agee se replie dans la religiosité et dans les rituels d'un veuvage névrotique qui laissa sa marque sur un enfant déjà tourmenté de sensualité et du sentiment d'avoir à expier une faute obscure. Il a quatorze ans lorsque, au pensionnat épiscopalien St. Andrews, il veille, comme la tradition du lieu l'imposait, toute la nuit du jeudi saint en imitation de la nuit d'agonie du Christ, expérience de crise mystique suivie, au petit matin, par une violente apostasie païenne qu'il racontera dans The Morning Watch, son autre roman quasi autobiographique (1951).
Exilé, à la rentrée de 1925, de son Sud natal vers la très select Phillips Exeter Academy dans le New Hampshire, puis à Harvard, Agee commence à écrire les poèmes qui seront choisis, grâce à l'appui d'Archibald McLeish, pour le volume annuel de Yale en 1934 : Permit Me Voyage. L'été de 1929, il part « sur la route », travaillant comme ouvrier agricole migrant à travers tout le continent. De retour à Harvard, il découvre deux livres qui viennent de paraître : Le Bruit et la fureur de Faulkner, et surtout, de Thomas Wolfe, Look Homeward Angel : « J'ai eu l'impression qu'il m'avait pratiquement volé toute mon enfance. » Rédacteur en chef de la revue littéraire de Harvard, Agee en consacre un numéro à une parodie de Time. Il n'y a pas de meilleur passeport pour être embauché par ce groupe de presse encore jeune : c'est en 1932, l'année la plus noire de la Dépression, que James Agee prend son poste de rédacteur à Fortune, le magazine qui s'adresse aux enclaves de richesse que la crise n'a pas atteintes. La lecture de Proust, en particulier, lui inspire à cette époque une première réminiscence de l'enfance perdue, Knoxville : Summer 1915.
L'été de 1936, Fortune l'envoie en compagnie du photographe Walker Evans faire une enquête sur les métayers du Sud : il passe deux mois en Alabama. Peu à peu, le reportage devient pour lui une longue exploration de son propre passé, un « à la recherche » de ses ancêtres des collines, ainsi, parfois, qu'une autoanalyse. À ce qui est maintenant un livre, Agee donne un titre tiré de l'Ecclésiastique : Louons maintenant les grands hommes, c'est-à-dire ceux de notre ascendance, y compris ceux « dont il n'y a plus de souvenir et qui ont disparu comme s'ils n'avaient jamais existé » (Ben Sira, 44, 9). Il s'agit d'un reportage sur l'Amérique oubliée des obscurs métayers, mais aussi d'un « mémorial » à son père disparu, et par ce chemin Agee le déraciné, l'orphelin, tente de revenir « chez lui ». Le livre paraît l'été de 1941 et passe presque inaperçu[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Média
Autres références
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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Marc CHÉNETIER , Rachel ERTEL , Yves-Charles GRANDJEAT , Jean-Pierre MARTIN , Pierre-Yves PÉTILLON , Bernard POLI , Claudine RAYNAUD et Jacques ROUBAUD
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...avec lui dans son errance dans le Nord et reconvoque au fil de la saga-fleuve d'une autobiographie à peine déguisée. Un peu similaire serait le cas de James Agee (1909-1955) qui, en lisant Thomas Wolfe à vingt ans, eut « l'impression qu'il [lui] avait pratiquement volé toute [son] enfance » ; longtemps... -
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- Écrit par Hervé LE GOFF
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