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FRAZER JAMES GEORGE (1854-1941)

La théorie de la magie

La notion de magie sympathique est, quant à elle, susceptible d'une application plus large puisque, aux yeux de Frazer, la pensée magique anime l'un des stades traversés par l'humanité, les deux autres étant caractérisés par la pensée religieuse et par la pensée scientifique. Il ne s'agit pas d'un évolutionnisme rigide. C'est ainsi que des traces de pensée magique existent encore dans notre monde moderne dominé par la science. En outre, magie et science sont plus proches l'une de l'autre qu'on ne pourrait le penser d'abord. Elles postulent, en effet, toutes les deux un ordre naturel sur lequel elles tentent d'agir. Ce sont leurs moyens d'action qui diffèrent profondément. La magie obéit au principe de la sympathie, principe double selon lequel, d'une part, le semblable appelle le semblable et, d'autre part, le contact matériel établi entre deux choses subsiste spirituellement au-delà de ce moment. La magie homéopathique obéit à la loi de similitude : ainsi la pratique, répandue à travers le monde entier, qui consiste à tuer un ennemi en blessant une figure fabriquée à son effigie. La magie contagieuse obéit à la loi de contact : elle explique, par exemple, pourquoi toute partie détachée du corps humain – cheveux coupés, rognures d'ongles, salive, excréments, etc. – peut servir à nuire à la personne à qui elle appartenait, comme si on s'attaquait directement à elle.

Cette conception de la magie fut critiquée par Henri Hubert et Marcel Mauss, dans leur travail intitulé Esquisse d'une théorie générale de la magie (1902-1903). Ils font à Frazer deux objections fondamentales. En premier lieu, la magie ne relève pas toujours de la sympathie et la sympathie n'est pas particulière à la magie, car il y a des actes sympathiques dans la religion. En second lieu, la magie ne doit pas être si radicalement séparée de la religion. Il est nécessaire de les distinguer, sans ignorer leurs zones de contact.

C'est donc très tôt que l'œuvre de Frazer eut à subir les critiques des anthropologues et des sociologues. Le reproche le plus général qui fut (et qui est encore) formulé contre lui concerne le fait qu'il ne se soucie jamais de replacer les matériaux réunis par lui dans le contexte de la culture dont ils sont issus ni, par conséquent, d'en faire apparaître la signification sociale et culturelle. Cette critique fondamentale, sur laquelle tous les anthropologues tombent d'accord, ne devrait pas masquer que Le Rameau d'or constitua un apport sans précédent à l'histoire contemporaine des idées. En premier lieu, il fait entrer l'anthropologie dans le champ de la culture occidentale. Écrivains et poètes, Rudyard Kipling, Ezra Pound, William Butler Yeats, James Joyce, David Herbert Lawrence, y ont puisé l'idée que la nature humaine comporte un verso mystérieux et sombre. Thomas Stearns Eliot reconnaissait sa dette envers Frazer dans les notes pour The Waste Land (1921-1922) : « Je suis [...] redevable, d'une manière générale, à un autre ouvrage d'anthropologie qui a profondément influencé notre génération : j'entends Le Rameau d'or. J'ai mis particulièrement à contribution les deux volumes Adonis, Attis, et Osiris. Tous ceux auxquels ces ouvrages sont familiers reconnaîtront immédiatement, dans le poème, certaines références aux rites de la végétation. »

D'autres disciplines que l'anthropologie bénéficièrent de la lecture de Frazer. Les spécialistes des études classiques comprirent qu'au-delà de l'analyse philologique et littéraire de leurs matériaux il était possible d'en faire apparaître la signification anthropologique. La psychanalyse, que Frazer a délibérément ignorée, utilisa largement la masse de documents qui était ainsi mise à[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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