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GILLRAY JAMES (1757-1815)

« Lorsqu'apparaît à la devanture un nouveau dessin, l'enthousiasme est indescriptible. C'est absolument fou. Il faut se frayer un chemin dans la foule avec les poings », ainsi s'exprimait, dans une lettre datée de 1802, un émigré français à Londres à propos du dessinateur satirique anglais James Gillray. On doit, sans doute, tenir compte de l'hyperbole ; mais cette restriction faite, le témoignage en vaut d'autres qui le confirment. Il traduit bien l'exceptionnelle faveur dont jouissait alors l'artiste au sommet de sa carrière, dans une veine encore toute nouvelle, la caricature politique. Gillray a, en effet, largement contribué à rendre ce genre indépendant, lui imposant des dimensions narratives et expressives qui devaient faire sa fortune. On connaissait le portrait en charge, la caricatura italienne. Hogarth s'était bien exercé à la peinture satirique du monde politique, mais, par incursions accidentelles, son vrai domaine avait été le monde social, tandis que Gillray se consacre exclusivement à la caricature politique. Son trait vigoureux, sa verve franche et débridée, qu'il exerce contre George III ou Napoléon, font de lui le maître incontesté de ce genre. Les amateurs le collectionnent, les imitateurs le pillent, et l'estampe, originale ou non, le popularise jusque sur le continent. Car Gillray avait ce sérieux avantage sur son grand rival Rowlandson d'être servi par un solide métier de dessinateur et par une parfaite connaissance pratique des techniques de la gravure. Tout jeune, il avait commencé par là son apprentissage, avant de s'inscrire à la Royal Academy. Ce n'était alors, en Angleterre, qu'un procédé de transcription qui se limitait à la reproduction des œuvres picturales. Pour Gillray, elle devient autant un moyen primordial de diffusion qu'une fin d'expression en soi ; à tel point qu'on a pu lui reprocher de s'être parfois jeté trop hâtivement sur la planche à graver, sans avoir suffisamment travaillé son dessin sur le papier.

Une série de cinquante-deux planches inspirées par les troubles qui agitent l'Angleterre en 1782 attire définitivement sur lui l'attention du public. Dix ans plus tard, un contrat d'exclusivité lui assure pour le restant de sa vie la sécurité et la liberté dans son travail. Il logera au-dessus de la boutique de son nouveau marchand et éditeur, une certaine Mrs. Hannah Humphrey, célibataire plus âgée que lui qu'il suivra fidèlement dans ses déménagements successifs. L'influence qu'a pu exercer sur son inspiration sa protectrice ou, du moins, sur ses impératifs commerciaux reste difficile à déterminer. Gillray fait bonne figure à la chute de la Bastille, puis illustre à partir de 1797 le journal du parti antijacobin, tout en poursuivant ses attaques contre le pouvoir. La conversation de Gillray était, dit-on, légère, aimable et réservée, d'une courtoise neutralité qui déconcerta plus d'un de ses admirateurs. Comment reconnaître dans ce comportement le caricaturiste au trait brutal, truculent et corrosif ? À la fin de sa vie, gravement affecté par la cécité et des troubles mentaux revenant périodiquement, dès 1807, Gillray apparaît comme un être émotif, inquiet, attentif à contrôler, sous un visage lisse et aimable, les violentes irrégularités d'un tempérament qui ne se révélait que sous l'effet de l'alcool ou dans ses dessins (d'ailleurs Gillray restreignait souvent leur spontanéité dans la version gravée qu'il en donnait ensuite). C'est pourtant cette audace d'expression qui, après des années de puritanisme, trouve un remarquable écho chez certains des meilleurs auteurs de bandes dessinées aux États-Unis.

— Bernard PUIG CASTAING

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  • CARICATURE

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    La Révolution française, l'Empire permirent à James Gillray (1757-1815) d'exercer sa verve féroce. Ses dessins d'un parti pris sans nuance sont cependant des témoignages importants dans l'histoire de la caricature parce que, pour la première fois, cette dernière y « devient une arme de la conscience...