BALLARD JAMES GRAHAM (1930-2009 )
James Graham Ballard fut un des grands écrivains du xxe siècle et, sans nul doute, celui qui a affirmé le plus nettement l'adéquation fine de la science-fiction avec notre époque : « Le „fait“ capital du xxe siècle est l'apparition de la notion de possibilité illimitée. Ce prédicat de la science et de la technologie appelle la vision d'un passé brutalement mis entre parenthèses – le passé n'est plus pertinent, il est peut-être mort – et celle d'alternatives innombrables offertes au présent [...]. Aucun genre ne semble plus à même d'explorer cet immense continent du possible que la science-fiction. Nulle autre forme de fiction ne possède le répertoire d'images et d'idées aptes à traiter du présent, et à plus forte raison de l'avenir » (Préface à Crash !).
Ironie du sort, c'est avec Empire du soleil (1984, porté à l'écran par Steven Spielberg en 1987), récit autobiographique et quelque peu fantasmé de son adolescence de sujet britannique à Shanghai durant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation japonaise, que Ballard connaît la notoriété auprès du grand public. Nul doute que ces étranges années d'enfance (Shanghai, « l'un des endroits les plus extraordinaires, les plus bizarres de la planète, un endroit où tout pouvait arriver sans que rien s'y oppose jamais », puis l'internement dans un camp japonais) marqueront le jeune James. Mais sans doute pas autant que sa découverte horrifiée de l'Angleterre, en 1946 : « On eût dit un monde replié sur lui-même de petits faubourgs et de pelouses où rien jamais ne s'était passé. »
Dès l'âge de dix-sept ans, Ballard dévore Freud et Jung, puis il étudie la médecine à King's College avec le désir de devenir psychiatre. Il se passionne pour les peintres surréalistes, écrit des textes expérimentaux et s'engage dans la Royal Air Force (« Je rêvais depuis toujours de voler. Il y a chez moi une sorte de curieuse obsession qu'on doit d'ailleurs retrouver dans toute mon œuvre »). Il est envoyé dans une base d'entraînement au Canada, et c'est là qu'il découvre la science-fiction.
La première partie de l'œuvre de James Ballard s'inscrit dans la thématique très britannique, depuis H. G. Wells et John Wyndham, du roman-catastrophe : Le Monde englouti (1962), Le Vent de nulle part (1962), Sécheresse (1964) et La Forêt de cristal (1966). Mais le romancier tourne le dos à la tradition réaliste pour décrire des catastrophes symboliques aux résonances bachelardiennes, esthétiquement influencées par Dalí ou De Chirico. Réuni en 1971, le cycle de Vermilion Sands, avec ses sculpteurs de nuages, son temps figé dans le sablier de l'inconscient et ses stations balnéaires échappées d'une toile de Magritte, relève de la même conception de la fantasy, considérée comme une « lente chorégraphie des désagrégations mentales » (cité par Stan Barets). Ce monde de vacance perpétuelle, où l'esthétique règne en maître, est tout proche de l'univers de la fin de l'histoire tel que le voyait Alexandre Kojève.
Vers la fin des années 1960, Ballard collabore activement à New Worlds, devenue sous la houlette de Michael Moorcock une revue littéraire d'avant-garde. Là, il publie des textes éclatés, inspirés de William Burroughs, qui seront réunis en 1970 sous le titre La Foire aux atrocités, et inaugure la série des « cauchemars technologiques » avec Crash ! (1973). Ce roman, qui raconte les noces perverses du sexe et de l'automobile, allait faire l'objet d'une adaptation cinématographique d'une grande finesse en 1996, par les soins de David Cronenberg. Cette mise en scène de la pulsion de mort désarçonne durablement le public et le jury du festival de Cannes, où le film fut présenté.
On a pensé[...]
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Écrit par
- Denis GUIOT : historien de la science-fiction
Classification
Média