GRAY JAMES (1969- )
À l'heure où le cinéma américain limite ses ambitions aux remakes sûrs, aux sequels bien sécurisées et aux videogames détournés, un petit nombre de metteurs en scène, désireux de s'exprimer plus personnellement, parviennent toutefois à s'imposer dans la grande industrie cinématographique outre-Atlantique. Ainsi en va-t-il d'un Paul Thomas Anderson, d'un Todd Haynes ou d'un James Gray. Ce dernier d'une manière peut-être plus courageuse. Car, homme de gauche notoire, soucieux de dénoncer la corruption profonde de son pays, il s'est engagé à le faire en œuvrant au sein de deux genres populaires bien établis, le « polar » (Little Odessa, 1994 ; The Yards, 2000 ; La Nuit nous appartient[WeOwn the Night], 2007) le drame sentimental (TwoLovers, 2008) et le mélodrame (The Immigrant, 2013), genres qu'il est parvenu à renouveler de l'intérieur, d'une manière fort singulière tant sur le plan thématique que sur celui du style. Cet engagement obstiné n'a pas toujours rencontré l'engouement des producteurs et explique pourquoi le cinéaste a réalisé si peu de films. Ce sont autant d'œuvres parfaitement réussies qui doivent beaucoup à sa passion très réfléchie de jeune cinéphile.
James Gray est né en 1969 et appartient à une famille d’origine juive qui, dans les années 1920, a fui la Russie pour s’établir à New York. Après avoir renoncé à une carrière de peintre et opté pour le cinéma à la seule vision – à l'âge de onze ans – d'Apocalypse Now, il décide d'étudier le septième art à l'université de Californie du Sud où il réalise, comme film de fin d'études, Cowboys and Angel (1991), un court-métrage annonciateur de sa future production professionnelle. C'est seulement trois ans plus tard, à l'âge de vingt-cinq ans, que ce natif du Queens, quartier désavantagé de New York, livre un premier long-métrage qui, quoique sous influence cinéphilique marquée (Coppola, Scorsese), surprend la critique internationale par sa manière de se démarquer de ses modèles. Effectivement, Little Odessa, s'il semble proche du Parrain et de Mean Streets, plonge en réalité le spectateur au sein d'une mafia pratiquement jamais montrée à l'écran, la mafia d'origine juive ukrainienne qui sévit dans le quartier de Brighton Beach à New York (dont le surnom donne son titre au film). Beaucoup plus complexe que celles de ses mentors, l'intrigue est habilement fondue dans une structure narrative classique dont le but principal est de créer une simple atmosphère impressionniste propre à ce petit monde. Celle-ci est obtenue à partir de l'amalgame très cohérent d'un ensemble de thèmes fondamentaux : la famille, le père abusif, la mère conciliante, des frères aux destins contrariés, de graves moments où la résignation et la tristesse dominent. La tragédie, au sens grec du terme, conduit ce bal infernal. Le film vaut à son jeune auteur le lion d'argent à la Mostra de Venise.
Fort de cette réussite, mais au terme d'une attente de six ans, James Gray récidive avec The Yards, film dans lequel il conserve la même noirceur du propos, cette fois appliqué à la corruption des milieux industriels liés aux transports publics. Toujours très picturale, l'esthétique est cette fois inspirée des lumières et des ombres de Georges de La Tour et du Caravage que le cinéaste demande à son directeur de la photo, Harris Savides, de reproduire en lui montrant toute une série d'aquarelles peintes de sa main qui correspondent à des séquences précises. De même que pour son premier film, il alterne, avec une minutie rigoureuse, un grand nombre de plans larges réservés à la représentation du vide urbain propre à son Queens natal, le quartier de son enfance, et d'autres, plus serrés, consacrés aux visages de ses protagonistes, qui ne peuvent qu'étouffer[...]
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Écrit par
- Michel CIEUTAT : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Médias
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