PURDY JAMES (1923-2009)
James Purdy fut un maître du roman gothique échevelé tel qu'il est transporté de la lande anglaise des Hauts de Hurlevent jusque dans les enclaves rurales de l'Amérique profonde. Il s'inscrivait en cela dans une lignée qui, outre-Atlantique, remonte au moins à Hawthorne : comme chez le romancier de Salem, tout, dans son œuvre, se passe souvent entre chien et loup, à la lisière crépusculaire qui sépare la veille d'un sommeil hanté de fantômes oniriques.
Troisième de cinq garçons, James Purdy est né en 1923 à Fremont (Ohio), dans une famille d'ascendance scoto-irlandaise, farouchement calviniste. Le divorce de ses parents fait très tôt de lui un de ces enfants à l'abandon qui peupleront ses livres.
Dès 1957, avec Color of Darkness (Couleur de ténèbres), la tonalité est donnée. Dans la plus mémorable des nouvelles de ce recueil, deux garçons, orphelins depuis peu, le très beau Fenton, dix-neuf ans, et son petit frère, débarquent de leur campagne de Virginie de l'Ouest dans la grande ville, Chicago ou New York. Alors qu'ils rôdent dans les bas-fonds, ils sont repérés par un écrivain vieillissant qui, à l'éclat sauvage du regard de l'adolescent, mesure sa propre décrépitude. De rage, il ramène les deux jeunes gens chez sa maîtresse, riche héritière sur le retour vivant cloîtrée dans sa maison, qu'elle a transformée en chambre funéraire à la mémoire de son défunt époux : le seul pervers plaisir qui lui reste est de détruire les âmes innocentes. Vampirisé par ce couple d'amants diaboliques, Fenton parvient quand même (en le tuant) à soustraire son petit frère à la corruption. Son dernier geste est d'embrasser tendrement le cadavre sur les lèvres avant de porter au grenier la malle où il l'a enfermé.
Malcolm (1959), le premier roman de James Purdy, met également en scène un jeune éphèbe vierge et innocent qui semble attendre passivement que chacun imprime violemment sa marque sur lui. Il tombe entre les mains d'un astrologue pédéraste, sorte de gourou satanique qui entreprend son éducation en l'exposant à diverses scènes d'un théâtre de la cruauté sexuelle, jusqu'au jour où, agneau livré aux lions du stupre et de la bestialité, l'évanescent Malcolm, tel Dorian Gray, vieillit en l'espace d'une nuit et meurt, dans un monde automnal où tout se dégrade et où il est toujours resté un étranger.
La notoriété de James Purdy date de la publication, en 1964, de Cabot Wright Begins (Le Satyre). C'est d'abord une satire quasi swiftienne du milieu de l'édition à New York. La mode est au machisme hétérosexuel flamboyant à la Henry Miller ou à la Norman Mailer. Elle est aussi au roman document. Sachant qu'il va sortir de prison, tout le monde, flairant le best-seller, essaie d'arracher le récit véridique de Cabot Wright, naguère condamné pour viol. Cet héritier de la grande bourgeoisie patricienne travaillait chez un agent de change de Wall Street. Chroniquement déprimé, il est allé voir un psychothérapeute qui lui a conseillé de libérer la bête sauvage enfouie en lui. C'est ainsi que, pour tromper l'ennui, ce nouveau Dr Jekyll a violé une centaine de femmes avant d'être arrêté. Ce que nous lisons, ce sont les divers états de son « histoire vécue », retranscrite à partir d'interviews, réécrite par un nègre. Quant à Cabot Wright lui-même, confronté à tant de versions de sa vie, il ne sait plus qui il est, et finit par disparaître, pour « commencer », quelque part dans le hors-texte. Cette fiction sur la genèse des fictions – qui n'est pas sans rappeler le Feu pâle de Nabokov (1962) – fut un moment marquant de la « révolution romanesque » des années 1960 en Amérique.
Il y a un James Purdy « gothique sudiste », parent de Flannery O'Connor, de Tennessee Williams[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
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