MUKAŘOVSKY JAN (1896-1975)
Théoricien littéraire et esthéticien tchèque, Jan Mukařovsky fut professeur des universités de Bratislava et de Prague ; il publie en 1923 une étude sur le vers tchèque. Dès 1926, aux côtés de Mathesius (qui en était le fondateur), de Jakobson, Trnka, Rypka, Vachek, Troubetzkoy, etc., il est membre du cercle linguistique de Prague. Parallèlement aux avancées de la linguistique structurale, la théorie esthétique et la méthodologie structurales de l'étude de la littérature et de l'art, élaborées par Mukařovsky, restent l'apport significatif et original de cette école de Prague.
Considérant comme caduque l'ancienne esthétique métaphysique, spéculative, rejetant le psychologisme et le sociologisme, dépassant l'immanentisme du « formalisme russe » (sensible encore dans son étude sur Mácha, en 1928) par l'insertion du fait artistique dans l'ensemble de la structure sociale, Mukařovsky entreprend, vers 1934, d'édifier un système où se reconnaissent ses positions de départ : la tradition esthétique tchèque (Hostinsky, Zich, Šalda), certaines inspirations allemandes (Husserl, Heidegger, la dialectique hégélienne) ou françaises, et, bien entendu, l'analyse structurale du matériau linguistique des œuvres littéraires. Empiriquement et rationnellement, il définit les notions de base — structure, signe, signification, fonction (esthétique et les autres), norme, valeur, personnalité créatrice, conception du monde — et aboutit à la théorie comparative des arts. Une fois établi un système cohérent mais ouvert et dynamique, il réexamine dans cette perspective nouvelle les catégories et les problèmes de l'ancienne esthétique classique. Ce processus théorique est toujours accompagné et vérifié par l'analyse concrète des œuvres littéraires de Polák, Mácha, Němcová, Neruda, Masaryk, Čapek, Olbracht, Vančura et d'autres encore, sans oublier les créations de l'avant-garde tchèque, qu'il affectionne particulièrement dans les domaines poétique, pictural, architectural, théâtral ou cinématographique (Nezval, Teige, Štyrsky, Toyen, Šíma, Zrzavy...). Outre l'ouvrage Fonction esthétique, norme et valeur comme faits sociaux (Estetická funkce, norma a hodnota jako sociální fakty, 1936), Mukařovsky établit un premier recueil de ses études théoriques et appliquées avec Chapitres de poétique tchèque (Kapitoly z české poetiky, 2 vol., 1941, réédité en 3 vol. en 1948).
Homme de gauche, Mukařovsky salue le régime de 1948, participe à la réorientation de l'Université, des instituts littéraires et des revues, milite comme « partisan de la paix », tente de rapprocher le structuralisme du marxisme-léninisme. Mais, vivement attaqué, il renie son œuvre scientifique d'avant 1948. Le structuralisme esthétique ne cesse, toutefois, d'attirer de nombreux jeunes adeptes (Červenka, Doležel, Sus, Chvatík, Jankovič). Au moment du « dégel », vers 1956, et surtout pendant la « libéralisation » des années 1960, le structuralisme est « réhabilité », et deux recueils d'inédits paraissent, réunis avec le concours de Mukařovsky, Études d'esthétique (Studie z estetiky, 1966) et Chemins de poétique et d'esthétique (Cestami poetiky a estetiky, 1971). Deux savants en particulier approfondissent la théorie et l'application du structuralisme en esthétique et en histoire littéraire : le Slovaque Mikuláš Bakoš et Felix Vodička (1909-1974), notamment avec Structure de l'évolution (Struktura vyvoje, 1969).
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Écrit par
- Vladimir PESKA : chargé de cours (littérature tchèque, littérature comparée) à l'Institut national des langues et civilisations orientales
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