VAN SCOREL JAN (1495-1562)
L'un des plus éminents chefs de file du mouvement romaniste dans la peinture des Pays-Bas du xvie siècle. Humaniste accompli, chanoine lettré, versé dans la musique et dans la technique (en 1549 et 1550, il donne des plans de digues) autant que dans les arts plastiques, Jan van Scorel est pour la Hollande l'équivalent des grands maîtres de la Renaissance italienne et, avec un Lucas de Leyde, innove singulièrement dans l'art de peindre au nord d'Anvers.
Van Scorel est influencé à ses débuts par Cornelis Buys (le « Maître d'Alkmaar » ?) chez lequel il a peut-être appris les rudiments de la peinture, par Jacob Cornelisz van Oostsanen (il est dans son atelier à Amsterdam, en 1512) et par Jan Gossaert qui se trouvait à Utrecht, en 1517, quand il s'y rend — Van Scorel a en commun avec Gossaert une nouvelle esthétique de la Renaissance fortement teintée de réalisme ; leurs affinités sont sensibles dans l'art du portrait. En 1519, il part pour le Sud ; il rencontre Dürer en Allemagne et passe en Carinthie où il laisse, en 1520, un triptyque peint pour la famille Frangipani, toujours conservé à l'église d'Obervellach et d'un style encore réservé, très « primitif hollandais » de la fin du xve siècle à la manière métallique et contraignante de Van Oostsanen et d'Engelbrechtsz. Mais l'étape décisive de ce « grand tour » est la Vénétie et le nord de l'Italie (Ferrare), où Van Scorel rencontre la clarté « giorgionesque », le portrait noble et élégant mis au point par Palma le Vieux, la spatialité aérienne et lyrique des paysages de Dosso Dossi qui vont le marquer durablement comme en témoignent déjà un vaste et profond Tobie et l'Ange de 1521 (collection particulière hollandaise) et le Saint François stigmatisé (palais Pitti, Florence).
Ses relations avec le nouveau pape Adrien VI, ancien évêque d'Utrecht, vont, en 1522, après un pèlerinage en Terre sainte, le mettre en vedette à Rome : il succède à Raphaël dans le conservatorat du Belvédère, et se nourrit au Vatican de la grande leçon de Raphaël et de Michel-Ange. Mais la mort rapide du pape, en 1523, précipite son retour à Utrecht, dès 1524, où il résidera désormais, nanti de bénéfices ecclésiastiques (il devient bientôt chanoine de Sainte-Marie d'Utrecht), pourvu de commandes dans tous les Pays-Bas (notamment un Baptême du Christ de 1527, à Haarlem, encore conservé dans le musée de cette ville) et jusque dans la région de Douai (retables pour l'abbaye de Marchiennes en 1540 — l'un d'eux a pu être reconstitué au musée de Douai, le Polyptyque de Marchiennes). Il jouit d'une telle considération qu'on lui confie, en 1550, la restauration (avec Lancelot Blondeel) de l'Agneau mystique de Van Eyck à Gand.
Bien qu'amoindri par les désordres iconoclastes de la fin du xvie siècle (ainsi périt son grand retable de Delft), l'œuvre peint de Scorel nous paraît d'une grande ambition : c'est une peinture d'histoire résolument romaniste, aux visées monumentales et héroïques, aux formes sculpturales, aux rythmes nobles et efficacement dramatiques, aux éclairages aigus, d'une rhétorique claire et expressive qui reste équilibrée et qui n'est pas encore poussée jusqu'à une outrance expressionniste de qualité toute nordique, comme on le voit chez Heemskerck, son disciple direct. Les lointains vastes et subtils baignent toujours dans un heureux luminisme vénitien et révèlent un paysagiste de grande classe.
Comme chez un Pieter Coecke dans les Flandres et plus encore que Gossaert, Van Scorel, de même que son ami Vermeyen, nous fait assister à un dépassement sans retour du vieux maniérisme gothique tardif, ultralinéaire, et à l'éclosion d'un académisme novateur d'allure classicisante, fondé sur l'affirmation des valeurs plastiques[...]
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Écrit par
- Jacques FOUCART : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre
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