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JANSÉNISME

En marge et au-delà du débat théologique

Aspects politiques d'une condamnation

Le problème janséniste apparaît avec toute sa complexité et sa profondeur à travers l'attitude, en apparence contradictoire, que le Saint-Siège adopta en cette affaire. À une époque où s'affirmait progressivement la centralisation pontificale, il importait de ne pas laisser se décider en dehors de Rome une question aussi fondamentale que celle de la Concordia, d'où l'organisation, de 1598 à 1607, des congrégations de auxiliis, chargées de juger du problème. Mais, en un temps où la notion de tradition paraissait immuable, les chances de faire admettre une théorie qui se présentait ouvertement comme une nouveauté étaient minimes, et les congrégations faillirent condamner Molina. Seules les en empêchèrent des considérations politiques : la nécessité de ne pas affaiblir la Compagnie de Jésus, qui rendait au Saint-Siège d'immenses services. Cette attitude permit aux idées nouvelles de faire leur chemin dans la pensée chrétienne et d'y provoquer une véritable évolution intellectuelle qui, peu à peu, fit considérer l'augustinisme comme une étape, et non comme un absolu, et rendit possible un renouvellement de la théologie de la grâce. Sur ce point déjà, l'aspect politique du problème entraînait donc des conséquences théologiques.

Cet aspect politique devait se compliquer du fait que la partie la plus vivante et active du jansénisme s'incarna dans le groupe fervent de catholiques français qu'on appelait le milieu dévot. Ayant pour objectif le triomphe du catholicisme en Europe, ce groupe devait fatalement s'opposer à l'absolutisme monarchique de Richelieu, puis de Mazarin et de Louis XIV, ce qui explique l'antijansénisme des milieux officiels français. L' Augustinus parut en 1640 alors que les idées nouvelles avaient gagné beaucoup de terrain même dans les milieux romains ; il était presque impossible d'éviter que l'ouvrage soit condamné. Cette condamnation étant d'autre part demandée par la cour de France, dont on craignait les tendances gallicanes, Rome fut trop heureuse de l'accorder et de la renouveler, fournissant ainsi au Roi Très Chrétien les armes nécessaires pour triompher d'une résistance à l'absolutisme dont Port-Royal demeurait l'ultime bastion ; même l'élection d'un pape comme Innocent XI, très favorable à l'augustinisme, ne put rien changer à une évolution aux composantes à la fois politiques et théologiques.

Du problème de la grâce aux droits de la conscience

Lorsqu'on jette un regard d'ensemble sur le jansénisme, on est frappé de son peu de cohérence intellectuelle. La théologie augustinienne n'y est qu'une étiquette derrière laquelle s'abritent des réalités fort diverses. L'augustinisme de Jansénius est rigide et archaïsant, celui d'Arnauld est souple et tout imprégné de thomisme, celui de Quesnel proche de Bérulle bien plus que de Jansénius. D'où les dissensions qui agitèrent ce milieu dès le xviie siècle. Barcos refusait la distinction du droit et du fait qui semblait essentielle à Arnauld et à Nicole, et le fougueux dom Gerberon considérait Quesnel comme un transfuge de la théologie jansénienne. Quant aux évêques appelants du xviiie siècle, leur hostilité à la bulle Unigenitus leur paraissait si peu liée au problème de Jansénius que la plupart d'entre eux exigeaient dans leurs diocèses la signature du formulaire, et que certains professaient une théologie ouvertement moliniste. Ce n'est certainement point dans la fidélité à une unique théorie de la grâce qu'il faut chercher la continuité du jansénisme.

Ce sont beaucoup plus des données d'ordre humain et moral qui assurent cette continuité. D'un bout à l'autre, le milieu janséniste est d'accord sur[...]

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Blaise Pascal - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Blaise Pascal

<it>Isaac Louis Le Maître de Sacy</it>, P. de Champaigne - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Isaac Louis Le Maître de Sacy, P. de Champaigne

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