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JAPON (Arts et culture) La littérature

La littérature moderne

Jalons (1885-1896)

Sur la couverture d'un petit volume publié à Tōkyō en 1885 se détachaient en blanc les quatre caractères

 : Shōsetsushinzui(La Quintessence du roman). Ce fascicule annonça l'avènement de la « littérature moderne ». Dans cette ville dont le paysage se transformait d'année en année, foisonnaient déjà aux vitrines des libraires les traductions d'ouvrages scientifiques, politiques, philosophiques. Déjà les adaptations de Jules Verne et de Victor Hugo fascinaient les imaginations.

L'essai de Tsubouchi Shōyō (1859-1935) fut une réflexion théorique. Il se référait aux xviiie et xixe siècles européens pour définir « l'art du roman », ses « fins » et ses « techniques ». Il reflétait la préoccupation majeure de cette première génération de l'ère Meiji : soudain confrontée à toutes les sciences et techniques d'Occident, elle cherchait d'abord à en saisir le principe. La création d'une littérature nouvelle s'inscrivit dans le cadre de ce gigantesque effort. Mais, aussitôt, Shōyō délimitait le domaine propre à l'écrivain : « L'objet du roman est le cœur humain ; la physionomie de l'époque, les mœurs viennent en second. Le « cœur de l'homme » ? ce sont les sentiments et les désirs, ce qu'il est convenu d'appeler les « cent huit tourments ». Car l'homme est un animal du sentiment et du désir... » L'histoire rapporte « les actes tels qu'ils apparaissent au-dehors ». « Les pensées enfouies à l'intérieur », seul le romancier pourra les faire apparaître. Les idéologies officielles ignorent cette vérité cachée.

Presque au même moment, quelques traductions surprirent par leur beauté. Futabatei Shimei (1864-1909) tira du Journal d'un chasseur de Tourgueniev Ahibikiet Meguri ahi (1888-1889), admirables de simplicité et de limpidité. Il innovait en matière de morphologie, de syntaxe, rompait avec les règles classiques. La plupart des maîtres de la littérature de Meiji se consacrèrent ainsi à l'étude des textes étrangers. Ils entraient en contact avec une langue et une sensibilité tout autres. Ils sentaient au plus profond d'eux-mêmes qu'avant de songer à publier il leur fallait inventer un langage neuf. Leurs premiers chefs-d'œuvre demeurèrent des fragments. Futabatei Shimei laissa inachevé Ukigumo(1887-1889, Nuages à la dérive). Il se proposait de montrer, en une prose frémissante de vie, les désarrois d'un homme dans Tōkyō. À son retour d'Allemagne, où il avait poursuivi ses études de médecine, Mori Ōgai (1862-1922) fit paraître quelques récits, d'une étrange concision. Dans Mahi hime(1890, La Danseuse), il relatait les années de lutte et de solitude qu'il avait connues à Berlin. Tōkyō, Berlin, ces métropoles inhospitalières étaient l'image de la réalité à laquelle se heurtaient les écrivains.

Quel parti tirer de la tradition ? Higuchi Ichiyō (1872-1896) avait été initiée à la poésie ancienne dès l'enfance. Ses nouvelles évoquèrent des destins malheureux de femmes et d'adolescents (Nigori-e, 1895, Une image floue). Elle-même mourut à l'âge de vingt-quatre ans ; mais la vivacité du trait, le lyrisme sourd et, par instants, l'humour leur donnaient une fraîcheur qui tient du miracle. Kōda Rohan (1867-1947) s'était plongé dans l'univers des textes bouddhiques et des classiques chinois. Il allait à l'encontre de son temps, délibérément : il choisissait pour personnages des artistes qui luttaient contre la matière, contre les éléments, contre la mort, et le torrent de ses phrases charriait les mots archaïques et insolites (Gojū no , 1891-1892, La Tour aux cinq étages). Ozaki Kōyō (1867-1903), l'auteur le plus fêté de sa génération, se situait dans la lignée[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • : docteure habilitée à diriger des recherches, professeure émérite, université Paris Cité
  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales

Classification

Médias

Ōe Kenzaburō - crédits : Cui Hao/ VCG/ Getty Images

Ōe Kenzaburō

Yoshimoto Banana - crédits : Tiziana Fabi/ AFP

Yoshimoto Banana