JAPON (Arts et culture) La littérature
La littérature contemporaine
À l'orée du XXIe siècle
Les années 1990 sont marquées par une crise économique durable, qui survient après des décennies d'un essor que rien ne semblait pouvoir interrompre. À l'automne de 1994, l'annonce du prix Nobel de littérature attribué à Ōe Kenzaburō secoue cette morosité : vingt-six années après le Nobel de Kawabata, voici qu'un deuxième auteur, de la génération suivante, est distingué par l'académie suédoise. Ce prix confirme, symboliquement, l'installation de la littérature moderne japonaise dans la cour mondiale. Ōe conserve cependant un regard lucide sur ce contexte. Il intitule son discours de récipiendaire : Aimai na Nihon no watakushi, 1995 (Moi, d'un Japon ambigu, 2001), et critique l'absence d'une réflexion nationale sur le passé douloureux de la Seconde Guerre mondiale. Il dit aussi renoncer à la publication de romans, décision qu'il lie à l'émancipation de son fils handicapé, héros récurrent de ses œuvres de fiction ; après une pause en effet consacrée à des essais, Ōe a pourtant repris le chemin du roman, toujours entre érudition, invention et satire sociale, notamment avec Chūgaeri, 1999 (Le Saut périlleux), Torikaeko Changeling, 2000 (L'Échange), ou Ureigao no dōji, 2002 (L'Enfant au visage triste). Par la suite, il a publié Sayônarawatashi no hon yo, 2005 (Adieu, mon livre !, 2014), Suishi, 2009 (Noyade), ou bien encore, en hommage à son ami Edward Saïd, Bannenyôshikishû In late style, 2013 (Recueil des formules tardives In late style).
Le 17 janvier 1995, un violent séisme secoue la ville de Kōbe, qui perd près de 6 500 citoyens ; le 20 mars, un attentat au gaz sarin dans le métro de Tōkyō, perpétré par une secte terroriste, provoque plusieurs morts et des centaines de blessés. Cette série d'événements crée une onde de choc qui conduit les intellectuels à prendre position, et à élaborer une littérature plus impliquée dans la vie civile. Tel est le cas de Murakami Haruki, qui, tout en continuant à écrire une œuvre de fiction où le minimalisme le dispute à l'imaginaire, entreprend de publier deux séries d'interviews : les victimes de l'attentat du métro, puis les membres de la secte – pour mieux comprendre et faire comprendre. Ses fictions sont aussi traversées par l'angoisse et le doute, comme on le voit avec Kami no kotachiwa mina odoru, 2000 (Après le tremblement de terre, 2002), Umibe no Kafuka, 2002 (Kafka sur le rivage, 2006) ou Afterdark, 2004 (Le Passage de la nuit, 2007). Parallèlement, la notoriété internationale de Murakami Haruki s'amplifie grâce au succès rencontré par les très nombreuses traductions, y compris en Asie. Il a obtenu en 2006 le prix Kafka, décerné à Prague. Sa trilogie, Ichi-kyū-hachi-yon, 2009-2010 (1Q84, 2011-2012), a suscité un engouement mondial.
La World Literature, version japonaise
Les frontières physiques, territoriales, linguistiques, tendent partout à s'estomper, y compris au Japon. Plusieurs cas de figure peuvent être évoqués, et tout d'abord celui des Chinois et surtout des Coréens immigrés au Japon parfois depuis trois générations désormais : il y avait Yi Hoe Song (Ri Kaisei), il y a aussi Yi Yan Jee (selon la lecture japonaise du nom, Ri Yoshie, 1955-1992), lauréate en 1988 du prix Akutagawa pour Yuhi (du nom de l'héroïne, jeune Coréenne du Japon en quête d'identité), et beaucoup d'autres. Chez les plus jeunes, on citera Yū Miri (née en 1968), prix Akutagawa en 1996 pour Kazoku cinema (Cinéma familial). Dramaturge et romancière, elle poursuit une œuvre d'inspiration autobiographique, aux accents douloureux, par exemple avec Mizube no yurikago, 1997 (Le Berceau au bord de l'eau, 2000), et Hachigatsu no hate, 2004 (Au bout du mois d’août). C'est bien en langue japonaise que ces auteurs[...]
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Écrit par
- Jean-Jacques ORIGAS : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Cécile SAKAI : docteure habilitée à diriger des recherches, professeure émérite, université Paris Cité
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
Médias