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JAPON (Arts et culture) Le cinéma

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Un échange permanent entre les influences étrangères et la transmission d'un patrimoine culturel national a caractérisé les débuts de l'industrie en devenir du cinéma japonais. La concentration industrielle dès le début des années 1910, la structuration en genres spécifiques établis dès 1921, un tournant de l'industrie vite enrayé par une catastrophe nationale en 1923 ont marqué le développement du cinéma muet. Remise sur pied à l'aube du cinéma parlant, l'industrie aborde son premier âge d'or avant la poussée militariste. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et avec l'encadrement de la tutelle étrangère, un deuxième âge d'or précède la révolte des « jeunes gens en colère ». Puis s'instaure un cinéma japonais à deux vitesses, qui confronte le désir d'indépendance de certains metteurs en scène à la grande industrie, et doit affronter une crise de croissance que partagent les autres cinématographies mondiales.

Les débuts

Toutes les premières périodes de l'histoire du cinéma japonais, celles de la maturation d'un art et d'une industrie en devenir, peuvent se lire comme un échange permanent entre les influences étrangères – et particulièrement américaines – et la transmission d'un patrimoine culturel national.

Signe symbolique, sans doute, le premier film au Japon aurait été un court-métrage de la Vitascope, la société américaine de Thomas Edison, dans la ville portuaire de Kōbe, en 1896. Ce n'est que l'année suivante qu'un appareil des frères Lumière sera importé. Si la première réalisation date de 1898 (il s'agit d'un court métrage sur la vie quotidienne à Tōkyō), la fenêtre ouverte sur le monde que représente le cinématographe, qui n'a pas encore formalisé son langage, va d'abord regarder les danses de geishas, les interprétations d'acteurs célèbres, le répertoire du théâtre kabuki, théâtre plus populaire que le nō, considéré comme élitiste. Sous les feuilles d'érable (Momijigari, 1898) est un des premiers films réalisés d'après une pièce kabuki. De cette date jusqu'à la fin des années 1910, même si quelques films à intrigue policière font timidement leur apparition, c'est essentiellement le théâtre qui fournit les sujets cinématographiques. Au kabuki des débuts s'ajoute un courant plus moderniste, avec les pièces de shingeki, ou nouveau théâtre, qui prend une grande partie de son répertoire dans le théâtre étranger, et le shinpa, une version modernisée du kabuki. Les premières adaptations des Quarante-Sept Rōnin (Chushingura) apparaissent déjà comme le début d'une longue série qui parcourra toute l'histoire du cinéma.

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Dans les studios qui commencent à se développer à partir de 1912 (les premiers furent construits en 1904, à Tōkyō, et en 1905, à Kyōto), le cinéma primitif, qui attire déjà beaucoup de monde dans quelque sept cents salles, se consacre aussi à la reproduction simple et directe des épisodes de la vie et de leur spectacularisation théâtrale.

Les premiers regroupements industriels s'opèrent, et l'année 1912 voit la naissance de la société Nikkatsu, qui pendant deux ans va dominer le cinéma japonais, jusqu'à la création de la Tenkatsu, avec laquelle elle va partager le marché de l'importation et de la distribution.

Alors que, tant en Europe qu'aux États-Unis, le cinéma primitif disparaît avec la fin de la Grande Guerre, pour devenir un cinéma plus mûr, dans l'archipel du bout du monde les évolutions sont déjà en retrait dans le temps. En pleine Première Guerre mondiale, les films populaires américains commencent déjà à pénétrer le marché nippon, pour le bénéfice des sociétés de distribution et d'exploitation de l'archipel.

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C'est vers 1919-1920 seulement que les vraies techniques du cinéma, de son langage narratif et expressif, commencent à être adoptées, sous l'impulsion de plusieurs techniciens, notamment Thomas Kurihara et Henry Kotani, qui ont travaillé aux États-Unis et qui au Japon collaborent respectivement avec les sociétés Taikatsu et Shōchiku. Tous deux apportent la reconnaissance du réalisateur comme auteur du film, de nouvelles techniques, le souci de former des acteurs hors de l'expérience du théâtre et une organisation de la production inconnue jusqu'alors, mais que les autres pays connaissent déjà depuis quelques années.

Naissance d’un art cinématographique1921, année de la production d'Âmes sur la route (Rojo no reikon), de Murata Minoru et Ōsanai Kaoru d'après l'œuvre de Maxime Gorki, sans doute le premier film le plus célèbre, marque une année charnière dans l'organisation d'une industrie nouvelle, dans la structuration d'une production et dans l'élaboration d'un art cinématographique véritable. Le cinéma se concentre et se répartit sur les villes de Tōkyō et de Kyōto ; les premières grandes sociétés, ou studios, à l'image des Major companies américaines, se constituent (prenant sous contrat annuel comédiens, réalisateurs et techniciens), et, si les grandes adaptations littéraires sont largement répandues dans la production, on voit, dès le début des années 1920, apparaître deux grandes catégories qui deviendront immuables, le film à costumes, ou jidai-geki, le plus souvent tourné à Kyōto, et le film contemporain, ou gendai-geki, majoritairement produit à Tōkyō. Le développement du film contemporain est accentué par le fait que dès 1921, dans une perspective réaliste, des actrices sont acceptées pour jouer les rôles féminins, rôles autrefois tenus par les onnagata, acteurs travestis en femmes, dans la plus pure tradition théâtrale de la représentation.

En ce début des années 1920, ceux qui vont être considérés comme les premiers auteurs du cinéma japonais font leurs débuts de réalisateur : Mizoguchi Kenji, avec Le Jour où l'amour revient (Ai ni yomigaeruhi, 1922), Kinugasa Teinosuke, avec Deux Petits Oiseaux (Niwa no kotori, 1922), Gosho Heinosuke, avec L'Été dans les îles du Sud (Nanto no haru, 1925), Yamamoto Kajirō, avec Danun (1924), Itō Daisuke, avec Journal d'un alcoolique (Shuchu Nikki, 1925). Suivant leur personnalité plus ou moins forte, qu'ils travaillent pour l'une ou l'autre des grandes sociétés de production intégrées en « studios » (verticalité qui va de la production à la propriété des salles de cinéma), les réalisateurs participent plus ou moins d'un certain style « maison ». Dans les années 1920, la Nikkatsu est plutôt connue pour ses mélodrames urbains, pour ses films sentimentaux, tandis que la Shochiku, plus que d'autres sociétés, subit l'influence du cinéma américain dans ses mélodrames, drames familiaux et comédies, influence encore accentuée après le désastre de 1923. À l'opposé, la Nikkatsu était plus orientée vers l'Europe, que devait d'ailleurs parcourir un de ses réalisateurs, Murata Minoru, sans doute l'un des premiers à avoir entrepris un tel périple.

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En 1923, un gigantesque tremblement de terre qui provoque destructions et incendies dans Tōkyō va cependant donner un coup de frein au développement de l'industrie. Une partie des studios est inutilisable, certains laboratoires ont brûlé, des centaines de films sont à jamais perdus. Pour remplacer les films d'une production nationale sinistrée, le Japon s'ouvre davantage aux importations de films américains.

Peu à peu remise sur pied, l'industrie permet au premier film parlant de voir le jour en 1925 : Aurore (Rei-mei), d'Ōsanai ; mais cette « première » sera sans lendemain, et il faudra attendre le début des années 1930 pour voir se développer une production de films parlants, qui mettra au chômage les benshi, commentateurs-narrateurs-lecteurs des intertitres, dont certains étaient plus célèbres que les acteurs dont ils commentaient les exploits sur l'écran, et qui furent une des caractéristiques les plus originales du cinéma japonais.

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Média

<it>L'Empire des sens</it>, N. Oshima - crédits : Prod DB /KCS /Aurimages

L'Empire des sens, N. Oshima

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