JAPON (Arts et culture) Les arts
La définition d’une esthétique
Le connaisseur japonais
L'intérêt des Japonais pour les créations artistiques ne s'est pas manifesté aussi tôt qu'en Chine. L'élaboration de traités d'esthétique ou de commentaires sur le développement de la calligraphie ou de la peinture fut tardive en ce pays. L'approche des Japonais vis-à-vis de l'œuvre d'art est plus sensible qu'intellectuelle ; elle se base sur une observation minutieuse des moindres détails d'une forme ou d'un décor. L'impression vivement ressentie ne s'exprime que sous une forme allusive, sans que l'on éprouve le besoin de la définir. Cette attitude s'observe dans les brèves notations que l'on peut glaner dans les nikki (journaux intimes) de l'aristocratie, dans les poèmes, les essais et les romans de l'époque Heian (Makura no sōshi ou Genji monogatari). Du xe au xiie siècle, la cour, jusqu'alors avide d'imiter les modes chinoises et les divertissements en honneur au palais impérial des Tang, élabore des moyens d'expression nouveaux qui constitueront les bases du style et du goût japonais tels qu'ils se sont perpétués jusqu'à nos jours. Le palais de Heian est le centre de la vie artistique ; empereurs et dignitaires y exercent un mécénat attentif ; courtisans et peintres de l'E-dokoro (atelier impérial) collaborent pour la disposition de jardins, la création de paravents, d'anthologies poétiques richement décorées, de sūtra enluminés, d'e-makimono illustrant les contes et les romans en vogue. Montrer son talent et son goût aide les jeunes filles des grandes familles à accéder à l'entourage des impératrices et les cadets à gravir les échelons de la hiérarchie. Danse, musique, calligraphie, peinture, poésie, teinture des étoffes leur sont enseignées, et cet enseignement, moins explicite qu'exemplaire, s'effectue par l'observation attentive et l'imitation appliquée des gestes du maître. Il en est de même pour l'apprenti, qui s'éduque en regardant travailler l'artisan. Aussi, le connaisseur est-il celui dont l'œil est exercé (mekiki), et ce peut être un grand seigneur, un artiste ou un artisan : il lui suffit d'avoir fait ses preuves pour que son autorité soit reconnue.
Ces connaisseurs furent nombreux dans toutes les branches de l'activité artistique, tels les forgerons et les polisseurs de lames de sabre, dont l'importance grandit avec l'accession au pouvoir politique des guerriers qui supplantèrent les aristocrates auxiiie siècle. Les moines chinois, qui vers la même date introduisirent au Japon la pratique du chan (zen), initièrent les maîtres de l'heure à l'art des Song. Leurs disciples japonais se rendront en Chine pour réunir les collections des shōgun Ashikaga, et l'on trouvera l'écho de leurs recherches dans le catalogue rédigé par Nōami et Sōami entre 1476 et 1512 pour le shōgun Yoshimasa (Kundaikan sayu chōki). À la même époque, Zeami, auteur et acteur de nō, rédigera pour ses descendants des textes techniques qui resteront longtemps secrets.
Dans ce rôle de connaisseurs, les chajin – « maîtres (de la cérémonie) du thé » – seront les plus écoutés. Ils règlent les différentes phases du chanoyu, choisissant et disposant les ustensiles dans les chashitsu, cabanes édifiées sous leur direction. Grâce aux chajin, les trop somptueuses céramiques chinoises seront remplacées par d'humbles poteries campagnardes, dont ils surveillent la fabrication et qu'ils dotent de noms poétiques, inscrits de leur main sur les boîtes qui les renferment.
Au Japon, le connaisseur est un expert et peut juger de l'origine et de l'authenticité de telle ou telle œuvre d'art, mais il est aussi un guide qui patronne et conseille artistes et artisans. L'un des plus célèbres[...]
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Écrit par
- François BERTHIER : docteur ès lettres, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales, directeur de recherche au CNRS
- François CHASLIN : critique d'architecture
- Nicolas FIÉVÉ : docteur ès lettres en études de l'Extrême-Orient, architecte D.P.L.G., chargé de recherche au C.N.R.S.
- Anne GOSSOT : maître de conférences à l'université de Bordeaux-III, membre permanent de l'UMR 8155
- Chantal KOZYREFF : conservatrice des collections Japon, Chine et Corée aux Musées royaux d'art et d'histoire, Bruxelles, gestionnaire des musées d'Extrême-Orient
- Hervé LE GOFF : professeur d'histoire de la photographie, critique
- Françoise LEVAILLANT : directrice de recherche au CNRS
- Daisy LION-GOLDSCHMIDT : chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
- Shiori NAKAMA : maître-assistante en histoire de l'art du Japon moderne, Do-shisha University (Japon)
- Madeleine PAUL-DAVID : ancien maître de recherche au CNRS, professeure honoraire à l'École du Louvre, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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